Pourquoi le Moyen-Orient s’est à nouveau enflammé
Alors que des manifestants pro-israéliens et pro-palestiniens se sont confrontés dans le centre-ville de Montréal, le weekend dernier, on s’intéresse aux événements qui ont récemment enflammé Jérusalem et sa région, et qui trouvent échos jusqu’ici.
Par Carlo Aldrovandi, professeur adjoint du Trinity College Dublin
Les violences qui ont d’abord fait irruption dans la zone de la mosquée al-Aqsa, du mont du Temple et de la vieille ville de Jérusalem ont dégénéré de manière incontrôlable. Les affrontements qui font rage depuis le week-end dernier entre les forces de sécurité israéliennes et les manifestants palestiniens ont fait des centaines de blessés. Puis, le Hamas a décidé de tirer des roquettes sur Jérusalem-Ouest et le sud d’Israël, et les forces de défense israéliennes ont riposté par des frappes aériennes. Bilan à ce jour : 83 morts du côté palestinien et 7 du côté israélien, dont des enfants.
Israël doit maintenant réprimé des émeutes entre Arabes et Juifs dans ses propres rues. Hier, un homme considéré arabe a été lynché par des militants d’extrême droite près de Tel-Aviv, le tout filmé et diffusé en direct à la télé à une heure de grande écoute.
Ce dernier chapitre sanglant n’a pas une unique cause. Une multitude de facteurs ont conduit à la crise actuelle, après des mois d’incubation.
Cette réaction en chaîne a néanmoins eu un déclencheur : les tentatives d’expulsion de familles palestiniennes qui vivent depuis des générations dans le quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est. Une bataille juridique est en cours entre les résidents palestiniens et Nahalat Shimon — une organisation de colons liée au mouvement sioniste qui tente de changer la démographie de Jérusalem-Est grâce à l’implantation graduelle de population juive.
Le soutien aux familles de Sheikh Jarrah est venu instantanément de plusieurs circonscriptions palestiniennes, notamment d’un nombre sans précédent de citoyens arabes d’Israël originaires d’Umm al-Fahm et de Jaffa. Au même moment, des milliers de personnes ont commencé à manifester à la porte de Damas qui, ces dernières semaines, est devenue la « place Tahrir » de Jérusalem-Est — le centre de la révolution égyptienne du « printemps arabe » de 2011. De nombreux manifestants étaient des fidèles rassemblés à la porte après avoir assisté aux prières à la mosquée al-Aqsa.
Il convient de noter que la crise s’est déroulée pendant les derniers jours du mois sacré du ramadan : le point culminant du calendrier islamique, mais aussi la période la plus instable de l’année à Jérusalem. Le vendredi 7 mai, quelque 200 Palestiniens ont été gravement blessés et de nombreux autres ont été arrêtés à la suite de violents affrontements avec la police israélienne.
La police israélienne s’est montrée agressive dans ses tentatives d’endiguer les manifestations, ce qui s’est rapidement retourné contre elle : les protestations se sont étendues à Jérusalem, en Cisjordanie et dans de nombreux villages arabes du centre et du nord d’Israël.
Agitation des deux côtés
L’incapacité à contenir la violence à Jérusalem et dans les autres territoires occupés résulte en partie de problèmes internes, tant au niveau des dirigeants palestiniens que du gouvernement israélien.
Du côté palestinien, une lutte de pouvoir a lieu entre le Hamas et le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. Le Hamas a délibérément fait monter la tension avec Israël en tirant des roquettes depuis Gaza dans le cadre d’une stratégie de propagande visant à se constituer un capital politique aux dépens d’Abbas.
Ce dernier, à son tour, a reporté les élections au Conseil législatif palestinien par crainte de perdre du terrain face à ses rivaux islamistes.
Israël de son côté est dans une impasse qui l’affaiblit considérablement après que quatre élections générales n’aient pas permis de mettre en place un gouvernement viable. Cette situation a eu de graves répercussions sur la gestion de la crise.
Et il est important de ne pas sous-estimer — comme l’ont manifestement fait les chefs de la sécurité israélienne — les conséquences désastreuses de la Covid-19 à Jérusalem-Est, laissant trop de jeunes Palestiniens sans emploi et encore plus désespérés de leurs dirigeants politiques respectifs. Les jeunes qui manifestent sur les marches de la porte de Damas, dans les rues de la vieille ville et d’al-Aqsa ne sont pas animés par les idéologies de leurs parents, mais surtout par un sentiment de colère, de dégoût et de frustration.
Provocations et contre-provocations
Compte tenu de la montée en flèche des tensions et des dysfonctionnements politiques de part et d’autre, la situation était susceptible de devenir incontrôlable lors du défilé de drapeaux prévu pour la Journée de Jérusalem. Cet événement a lieu chaque année pour commémorer la réunification de Jérusalem par Israël après la guerre des Six Jours en 1967.
Ces derniers temps, avec l’influence croissante du mouvement des colons au sein du gouvernement Nétanyahou et de la société israélienne, le défilé est devenu une pierre angulaire de la conscience nationale de nombreux sionistes religieux. Chaque année, avant de rejoindre les célébrations sur la place du Mur occidental, des centaines de jeunes Israéliens partent de Sheikh Jarrah, font une pause à la porte de Damas, puis continuent le long de la rue Al-Wad, l’artère principale du quartier musulman de la vieille ville.
Au cours de la marche, de jeunes Israéliens agitent leur drapeau de manière provocante et entonnent des chants patriotiques. Pendant ce temps, les Palestiniens observent la procession derrière les barrières de sécurité que les forces de police israéliennes ont mises en place spécialement pour l’occasion.
La façon dont cette célébration fait irruption dans leurs espaces quotidiens est ressentie par la plupart des Palestiniens comme une provocation flagrante et un rappel douloureux de l’humiliation qu’Israël a infligée à leurs aspirations nationales en juin 1967. La guerre des Six Jours n’a pas seulement signifié une dépossession palestinienne à grande échelle, elle a également établi le contrôle israélien sur al-Quds (nom arabe de Jérusalem) et sur la mosquée al-Aqsa, troisième site le plus sacré de l’Islam et principal symbole de l’identité palestinienne.
Dans la nuit de dimanche à lundi, des milliers de Palestiniens se sont barricadés dans la mosquée avec des pierres et des cocktails Molotov en prévision de la parade de la Journée de Jérusalem. Selon le Croissant rouge palestinien, les affrontements entre les forces de police israéliennes et les manifestants, qui se sont inévitablement déroulés à al-Aqsa le lundi matin, ont fait 300 autres blessés. C’est à la suite de ces affrontements qu’Israël a décidé d’empêcher les Juifs d’entrer dans la zone de la mosquée al-Aqsa et du Mont du Temple pendant la Journée de Jérusalem.
Sentant à quel point il serait dangereux de permettre aux gens de traverser certains des espaces les plus importants sur le plan symbolique pour la population palestinienne — et alors que Jérusalem est déjà sur le fil du rasoir — les autorités israéliennes ont annoncé que la marche du drapeau pouvait avoir lieu, mais qu’elle devait s’éloigner de la porte de Damas et du quartier musulman. La Haute Cour de justice israélienne a également reporté les audiences sur les expulsions prévues des familles palestiniennes de Sheikh Jarrah, qui avaient été programmées pour la Journée de Jérusalem.
Mais ces tentatives de désescalade semblent avoir été trop peu, trop tard. Une fois de plus, Jérusalem s’embrase, avec des conséquences potentiellement terribles pour la stabilité de toute la région.
Carlo Aldrovandi, professeur adjoint en études internationales sur la paix, Trinity College Dublin.
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.