Se suicider
«Le sens littéral de la vie est tout ce que vous faites qui vous empêche de vous suicider», disait Albert Camus. Cet enjeu du suicide, pour le prix Nobel de littérature 1957, constituait le seul problème philosophique réellement sérieux. C’est dire.
Bien entendu, l’auteur de la La Chute (oui, meilleur que L’Étranger ou La Peste, je vous dis), référait ici au suicide sur le plan individuel. Mais ses mots, relus dernièrement et conjugués à deux nouvelles récentes, m’ont balancé au visage l’épiphanie, malheureuse, suivante : et si nous avions collectivement opté pour le suicide?
Je déconne? Non. Xième tentative d’attirer l’attention sur l’obsessive lubie ? Peut-être, mais… non. Parce que pensez-y : si votre oncologue vous prédisait qu’à moins de ne changer vos habitudes de vie, votre espérance quant à celle-ci, dans les prochains six moins, serait réduite à néant, vous feriez quoi?
Or, dans la mesure des limites d’une métaphore, c’est (très) précisément l’annonce reçue, la semaine dernière. Une autre. Qui s’ajoute à une liste infinie, laquelle revêt le dénominateur commun suivant : ON. S’EN. TAPE.
Pourtant, l’identité de l’auteur de ce nouvel opus, soit le gouvernement canadien, devrait intéresser les plus sceptiques. Pourquoi? D’abord parce qu’il est, lui-même, l’un des principaux protagonistes de la débâcle mondiale. Ironiquement satisfaisant, donc, de le voir projeter, chiffres à l’appui, les conséquences de son médiocro-marasme. Ensuite et peut-être surtout, parce qu’il est question en l’espèce de fric, c’est-à-dire l’habituelle marotte des négationnistes des impacts du réchauffement climatique. Comme l’a déjà clamé (fièrement) la député caquiste de mon coin de pays : c’est ben beau, l’environnement, mais on va quand même pas se mettre dans la rue pour ça!
Bien sûr que non, Madame Chose. Plutôt l’inverse qui se produira. Et bravo pour votre choix de parti. Z’êtes à bonne place.
Ainsi donc, et selon le rapport (scientifique) commandé par Ottawa et initialement discuté par le (super) journaliste Shield, du Devoir: « Les changements climatiques sont une urgence de santé publique qui ne fait que croître, et nous devons commencer à les traiter comme tels ». Pour une gang qui peine à sortir de pandémie, disons que le message devrait résonner aisément.
Et pour les obsédés du cash: «les changements climatiques pourraient faire perdre 128 millions d’heures de travail par année d’ici la fin du siècle, soit l’équivalent de 62 000 emplois à temps plein et de près de 15 milliards de dollars».
Une autre petite couche : «Si aucune mesure n’est prise, les coûts des soins liés à l’exposition à l’ozone pourraient atteindre le quart des sommes actuellement allouées aux soins des personnes atteintes de cancer. Les coûts reliés à la perte de vies et de qualité de vie sont encore plus élevés ; nous les estimons à 86 milliards de dollars par année d’ici 2050 et à 250 milliards par année d’ici 2100».
Une autre : «sur une période de 10 ans à la fin du siècle, les maladies respiratoires liées à l’ozone pourraient entraîner 270 000 hospitalisations et décès prématurés, soit plus que la population de la ville de Gatineau».
La part du gâteau, aussi, pour la santé mentale, celle-ci pouvant constituer «l’une des conséquences sanitaires les plus coûteuses pour le Canada», provoquée par les «modifications permanentes aux paysages et aux écosystèmes», ainsi que par les catastrophes naturelles à répétition.
Quant à ceux et celles qui pensent que le climat canadien frisquet et ses grands espaces rendront la chute moins pénible, petite nouvelle (réitérée): non. Tout le contraire, en fait, notre climat se réchauffant deux fois plus rapidement que la moyenne mondiale. Tough luck.
Stressant? Peut-être pas, au fond. Selon les conclusions rapportées par France-Presse de la plus grande expédition scientifique jamais menée au pôle Nord, il est possiblo-probable que nous ayons déjà franchi le point de bascule quant à la banquise arctique et, invariablement, pour ses petites et grandes sœurs. Point de bascule, oui. Comme dans l’expression «début de la fin».
Le suicide, par définition, constitue un acte conscient. C’est ça qui est ça.