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Voici comment on peut laisser 83 % du pétrole canadien dans le sol et bâtir de nouvelles économies fortes

Emily Eaton - La Conversation

L’élimination progressive des combustibles fossiles nécessite que l’on considère la production actuelle comme un sommet, et que l’extraction et les infrastructures doivent désormais décliner. Pour survivre aux politiques en réponse à la crise climatique, les pétrolières doivent convaincre le gouvernement que la carboneutralité peut fonctionner et qu’un avenir sans combustibles fossiles est sombre.


Emily Eaton, University of Regina

ANALYSE – La combustion du charbon, du pétrole et du gaz naturel est responsable de près de 90 % des émissions de dioxyde de carbone dans le monde. Si nous voulons avoir 50 % de chances de limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C, plus de 83 % des réserves de pétrole du Canada doivent demeurer sous terre.

Pourtant, le gouvernement libéral fraîchement réélu, qui a placé la lutte contre les changements climatiques au centre de son programme, prévoit une longue vie pour les combustibles fossiles. Au lieu de laisser le pétrole dans le sol, les libéraux se sont engagés à plafonner et à couper les émissions dans ce secteur, puis à compenser les émissions restantes d’ici 2050.

Cela permettrait à la production de combustibles fossiles de se poursuivre indéfiniment au Canada, ce qui nécessiterait d’énormes investissements publics pour le captage et le stockage du CO2. De plus, cela engendrerait des systèmes de comptabilité douteux qui feraient disparaître les émissions des livres sans pour autant mettre fin à leur production.

Dans le cadre du Corporate Mapping Project, mes collègues et moi avons étudié le pouvoir et l’influence de l’industrie des combustibles fossiles dans l’Ouest canadien. Nos recherches montrent que pour survivre aux politiques en réponse à la crise climatique, les pétrolières doivent convaincre le gouvernement que la carboneutralité peut fonctionner et qu’un avenir sans combustibles fossiles est sombre.

Mais pour garder 83 % du pétrole canadien dans le sol, il n’est pas nécessaire de fermer le robinet du jour au lendemain. Il faut plutôt mettre fin progressivement à l’industrie en faisant appel à des métiers spécialisés, tout en créant de nouveaux secteurs d’activité pour restaurer les terres et mettre l’accent sur l’importance de prendre soin les uns des autres.


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Pas d’avenir pour le pétrole canadien

Une large part du pétrole canadien doit rester dans le sol parce qu’il est plus difficile à atteindre – il se trouve en grande partie dans les sables bitumineux du nord de l’Alberta, ce qui complique son extraction, son traitement et son transport – et plus lourd que les pétroles bruts légers non sulfurés produits dans des endroits comme le Moyen-Orient. Si on fait le calcul par baril, le pétrole canadien émet plus de gaz à effet de serre, coûte plus cher à extraire et se vend moins cher sur les marchés internationaux.

En cette période de lutte contre les changements climatiques, le Canada tente de maintenir à flot son industrie, qui représente environ 5 % de son PIB, grâce à d’énormes subventions publiques qui se chiffrent quelque part entre 2 et 63 milliards de dollars par an. Mais l’illusion d’une production pétrolière carboneutre ne tient pas compte du cycle de vie complet des émissions liées au pétrole – on n’y prend pas en considération les émissions produites par la consommation de pétrole et de gaz, seulement celles issues de la production.

Le pétrole et le gaz produits au Canada seront brûlés au pays et à l’étranger dans des moteurs à combustion et des centrales électriques alimentées au gaz. Ces émissions de «portée 3», qui peuvent représenter plus de 90 % des émissions associées au cycle de vie complet du pétrole et du gaz, ne seront plus acceptées dans les États du monde entier qui tentent de réduire à zéro leurs émissions de gaz à effet de serre.

Le temps qu’il faut

L’élimination progressive des combustibles fossiles ne nécessite pas de tout arrêter dès demain. Mais il faut considérer que la production d’aujourd’hui est un sommet, et qu’à partir de là, l’extraction et les infrastructures doivent diminuer pour atteindre une production près de zéro au milieu du siècle.

Cela laisse du temps pour bien planifier une transition ordonnée et soutenir les travailleurs de l’industrie des combustibles fossiles et leurs communautés. Si nous commençons aujourd’hui, nous aurons le temps de réduire progressivement une partie de nos activités tout en développant d’autres secteurs, comme ceux des énergies renouvelables, de l’assainissement de l’environnement, des maisons efficaces sur le plan énergétique et des emplois à faible émission de CO2 dans les professions à vocation sociale, notamment les soins aux personnes âgées et aux enfants, les soins de santé et l’éducation.

En fait, pour chaque dollar dépensé, le nombre d’emplois directs et indirects créés dans ces secteurs dépasse de loin ceux créés dans le domaine de l’extraction du pétrole et du gaz.

graphique à barres montrant que les emplois créés dans l’éducation et les soins de santé sont plus nombreux que ceux créés dans les secteurs minier, pétrolier et gazier par million de dollars de production
Emplois directs et indirects en Colombie-Britannique par million de dollars de production. Les investissements ne se valent pas tous. Le pétrole et le gaz créent relativement peu d’emplois. (Winding Down BC’s Fossil Fuel Industries, 2020/Corporate Mapping Project)

Certaines économies seront touchées de manière disproportionnée : les provinces de l’Ouest et Terre-Neuve seront plus gravement frappées. Ces provinces, et les régions rurales, auront davantage besoin de soutien et d’attention.

À quoi ressemblerait une élimination progressive ?

La question de savoir ce que serait une élimination progressive et ordonnée du pétrole et du gaz fait l’objet d’un débat. Certains suggèrent que les industries devraient être nationalisées, afin de mettre fin à leurs tactiques de déni et de retardement. Dans ce scénario, des sociétés d’État présideraient à la réduction progressive des activités, en commençant par fermer la production la plus coûteuse et la plus polluante, et en investissant les revenus de la production pétrolière dans l’assainissement et la remise en état des sites d’infrastructure pétrolière.

Au fil du temps, les entreprises publiques passeraient de l’extraction du pétrole et du gaz au nettoyage des puits de pétrole, des sites miniers et des pipelines, ce qui permettrait aux travailleurs du secteur des combustibles fossiles de conserver leur emploi en utilisant leurs compétences actuelles.

Une étude récente a examiné la façon dont la Californie pourrait limiter la production de combustibles fossiles pour réduire les émissions de dioxyde de carbone. Si l’État cessait d’approuver de nouveaux permis pour les puits de pétrole, l’épuisement naturel des puits existants ferait diminuer la production de 70% d’ici 2030, ce qui réduirait considérablement les émissions de gaz à effet de serre à l’échelle de la planète.

Le gros ménage

Un des plus importants défis à relever pour mettre fin aux activités de l’industrie est sans doute le nettoyage de ses infrastructures tout en veillant à ce que le public n’ait pas à en payer le prix. Les compagnies pétrolières et gazières louent souvent des terrains pour leurs infrastructures ou pour avoir accès à leurs droits miniers lorsque la surface est déjà utilisée à d’autres fins, comme de l’agriculture, de l’élevage, des parcs ou des habitations privées.

Dans le cadre de mes recherches sur les communautés rurales productrices de pétrole en Saskatchewan, j’ai rencontré de nombreux propriétaires terriens mécontents, qui se retrouvaient avec des puits et des installations non remis en état, ou de petits pipelines. Ces infrastructures peuvent causer des fuites de pétrole, de gaz et d’eau salée qui risquent d’affecter les cultures, d’engendrer beaucoup de gaz à effet de serre et de contaminer les eaux de surface et souterraines.

Le nombre de puits inactifs – qui ne produisent pas de pétrole et qui doivent être nettoyés – a augmenté de façon vertigineuse au cours de la dernière décennie, et des municipalités et des propriétaires terriens se plaignent du non-paiement des impôts fonciers et des baux de surface.

Selon l’Alberta Liabilities Disclosure Project, le passif de l’industrie albertaine se situerait entre 58 et 260 milliards de dollars. Avec seulement 1,5 milliard de dollars détenus en titres, les gouvernements doivent planifier dès maintenant la façon dont ils vont récupérer la facture de nettoyage.

Les gouvernements pourraient créer des fiducies de restauration, financées par l’augmentation des titres, des redevances et des taxes sur le pétrole et le gaz, qui emploieraient des travailleurs du secteur pétrolier et gazier pour nettoyer les infrastructures de l’industrie. La remise des terres en état permettrait d’ouvrir la voie pour les économies futures.

Emily Eaton, Associate professor, Department of Geography & Environmental Studies, University of Regina

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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