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Syrie: «On n’apprend pas de nos erreurs», dit Robert Fowler

Photo: Collaboration spéciale

Le canadien Robert Fowler était envoyé spécial du Secrétaire général de l’ONU pour le Niger lorsqu’il s’est fait capturé par Al-Qaïda avec un collègue en 2008. Il est resté leur prisonnier durant 130 jours avant d’être libéré. Le récit très personnel de sa captivité, intitulé «Ma saison en enfer», sera publié en français mercredi. Retour sur son expérience et survol de la menace islamiste au Sahel aujourd’hui.

L’écriture de ce livre vous a-t-il aidé à vous libérer de certains démons?
Oui, tout à fait. Surtout là-bas, dans le sable, l’idée de créer ce livre était une façon de garder l’espoir, d’organiser mes pensées. Je pensais aux éléments que je devrais mettre dans mon livre, et c’était une façon de me confirmer que je serais libéré un jour. Ça fait maintenant 4 ans et demi que cette expérience est terminée, et je regarde le tout avec une certaine distance. Ça ne me dérange pas d’en parler avec les journalistes.

Qu’est-ce que vous espérez que les lecteurs ressentent et retirent de votre récit?

J’ai écrit mon livre d’une manière à rendre mes pensées et mes questionnements totalement transparents. Je me pose beaucoup de questions et les lecteurs peuvent se demander ce qu’ils auraient fait à ma place. La plupart des gens se comporteraient mieux qu’ils le croient.

Vos kidnappeurs sont devenus des leaders majeurs d’Al-Qaïda au Maghreb islamiste (AQMI). Qu’est-ce que ça vous fait de savoir ça?
C’est frappant. Quand j’entends que de nouveaux otages sont entre les mains de ces gars-là, les souvenirs me reviennent. Omar Un, l’agent de liaison avec les otages, avec lequel environ 65% des contacts se déroulaient, est maintenant une grande vedette de Youtube. Sur plusieurs vidéos, j’ai pu le voir prêcher, faire des discours devant des publics peu instruits. Il a toutes les mêmes habitudes d’orateurs, manières et expressions qu’il avait avec nous. En regardant ces vidéos, c’est comme si j’étais de retour dans le désert, à l’écouter.

Vous ne savez toujours pas pourquoi vous avez été libéré. Mais vous pouvez émettre des hypothèses…
Le gouvernement canadien a assuré qu’il n’avait pas payé pour ma libération. Mais Al-Qaïda ne m’a pas relâché pour mes beaux yeux. Certains rapports suggèrent qu’une rançon a été payée pour les deux dames qui sont sorties avec nous, une Allemande et une Suisse, et qu’elle nous a peut-être couvert tous les quatre. Une autre histoire fascinante a été sortie récemment par un journaliste de l’Associated Press. Il aurait supposément trouvé, dans une maison où habitait notre ravisseur Mokhtar Belmokhtar, une lettre du chef de l’AQMI le grondant d’avoir accepté pour nous une rançon trop faible, soit 700 000 euros (un peu moins d’un M$). Évidemment, on ne peut pas savoir si c’est authentique.

Qu’est-ce que vous avez appris de plus important au sujet des djihadistes au cours des mois de captivité ?
Ces gars-là croient fermement en leur guerre et leurs objectifs. Ils ont une confiance absolue en leur victoire éventuelle, puisque Dieu ne peut pas perdre. Pour eux, mourir dans cette lutte pour l’Islam est une garantie absolue du paradis éternel.

L’expansion de la branche d’Al-Qaïda au Maghreb islamique en Afrique du Nord et de l’Ouest vous inquiète. Selon vous, lutter contre Al-Qaïda dans le Sahel est particulièrement important. Pouvez-vous expliquer l’urgence de la situation?
Les pays d’Afrique aux prises avec cette menace sont parmi les plus pauvres au monde, aucunement équipés à la combattre. C’est très dangereux, car les terroristes islamistes veulent étendre le chaos de la Somalie à la partie la plus importante de l’Afrique. Quand on constate les plus récentes attaques au Mali, au Kenya, en Ouganda, au Niger et en Algérie, on voit que les divers groupes islamistes dans le Sahara et autour de ce dernier sont très actifs. C’est l’obligation du Canada et de l’Occident d’aider ces pays.

Quelle est l’importance de cette menace pour le Canada?
Mon ravisseur Omar Un l’a dit très clairement : «On s’en vient chez vous.» Quand on regarde les nouvelles au pays, on constate que c’est vrai. Je n’aurais jamais pensé que deux jeunes canadiens de London allaient faire partie de l’attaque à l’installation de gaz naturel In Amenas, en Algérie. Il y a aussi eu le complot terroriste déjoué contre un train de VIA Rail dans la région de Toronto. Les États-Unis et plusieurs pays occidentaux ont connu des attaques terroristes. C’est très naïf de penser qu’on est exclu de tout ça.

Dans votre livre, vous écrivez que «l’Occident serait stupide et peu perspicace [de] lancer une opération militaire au cœur de la guerre civile syrienne». Vous devez être inquiet de ce qui se dessine actuellement?
Oui, je crains qu’une intervention militaire occidentale aggrave la situation dans ce pays. C’est ridicule de lancer une guerre sans avoir des buts raisonnablement atteignables. En Syrie, les objectifs sont d’éliminer les armes chimiques, de punir Bachar Al-Assad, d’aider les rebelles à renverser le gouvernement : tout cela n’est pas atteignable. On est fâché, avec raison, que des armes chimiques aient tué peut-être 1500 personnes. Mais va-t-on accomplir quelque chose de bon en en tuant plusieurs centaines d’autres? Si le régime tombe, est-ce une bonne chose? Les rebelles sont largement composés de combattants d’Al-Qaïda. Quand je vois ce qui se passe maintenant en Égypte et en Libye, je me dis qu’on n’apprend pas de nos erreurs.

Vous considérez d’ailleurs que l’attaque aérienne de la Libye par l’OTAN a été désastreuse…
C’est présentement un chaos impossible à diriger ou à contrôler. La vie des Libyens est bien pire qu’avant. Avec notre action, nous avons libéré des tonnes d’armements qui sont maintenant éparpillés à travers les régions les plus instables au monde. Les terroristes en ont bénéficié, puisqu’ils ont pu s’approprier de l’arsenal abandonné par le régime Kadhafi.

D’un côté plus personnel, quelle est la plus grande leçon de vie que vous avez tiré de ces mois de captivité?
Il ne faut jamais abandonner l’espoir. Il y a certains moments où j’en étais très tenté, mais il ne faut jamais le faire. On est capable d’affronter beaucoup plus d’épreuves qu’on le croit. Une autre chose, c’est qu’avec ma vie très active, je n’avais peut-être pas fait attention à ce qui est réellement important, c’est-à-dire mes amis et ma famille. Maintenant, je jouis pleinement de leur présence.

  • Conférence du Centre d’études et de recherches internationales

Robert Fowler donnera la conférence «Une saison en enfer: Al Qaïda et le Sahel» lundi, à 16h30 à l’Université de Montréal, dans l’amphithéâtre Ernest-Cormier (K-500) du 2900, boulevard Édouard-Montpetit. L’entrée est libre.

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