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La fuyante majorité du gouvernement Marois

Photo: PC

Annonces économiques en rafales, rumeurs de candidatures vedettes, contrôle serré de l’information durant les points de presse… le parfum d’élections générales se fait de plus en plus insistant à l’Assemblée nationale. Selon la plupart des observateurs politiques, le Parti québécois (PQ) déclencherait des élections générales à la suite du scrutin municipal, et le vote aurait lieu le 9 décembre. Si la première ministre, Pauline Marois, armée de son projet de charte des valeurs, vise à former un gouvernement majoritaire, une analyse de la carte électorale montre que la tâche sera colossale et que les gains, à moins d’une performance exceptionnelle, seront modestes.

Alors que les projecteurs sont braqués sur son projet de charte des valeurs québécoises, les indices portent à croire que le gouvernement Marois, lui, a les yeux rivés sur la carte électorale.

Pauline Marois doit obtenir près de 40 % du vote francophone pour atteindre la majorité, et cela passe par le contrôle de l’agenda politique. «Advenant des élections en décembre, le grand avantage de Pauline Marois est celui de partir en campagne selon ses termes à elle», analyse Éric Grenier, responsable du site threehundredeight.com, spécialisé dans les sondages d’opinion et les projections électorales. Une défaite sur le budget en mars 2014 représenterait pour le PQ un contexte électoral bien pire que celui qui se profile actuellement à l’horizon, rappelle-t-il.

Affaiblir la CAQ
En misant sur l’identité québécoise, le projet de charte des valeurs présenté par le PQ s’approche du discours nationaliste de la Coalition avenir Québec (CAQ) et de la défunte Action démocratique du Québec (ADQ, qui a fusionné avec la CAQ au début de l’année 2012). En déclin dans les sondages, la formation de François Legault, qui a fait mal au PQ lors des dernières élections, laisse miroiter au gouvernement Marois la possibilité de décrocher les neuf sièges qui lui manquent à l’Assemblée nationale pour atteindre une majorité de 63 députes.

«Les péquistes n’obtiendraient pas une majorité s’ils partaient en élections aujourd’hui, mais il semble y avoir un bassin de 10 à 15 % d’électeurs caquistes qui peuvent les favoriser dans plusieurs circonscriptions», estime Éric Grenier.

En excluant Granby, où le caquiste François Bonnardel l’a emporté par plus de 11 000 voix, le PQ a terminé en deuxième position derrière la CAQ dans 7 circonscriptions. Par exemple, dans La Prairie, Saint-Jérôme et L’Assomption respectivement, les candidats Stéphane Le Bouyonnec, Jacques Duchesneau et même le chef François Legault sont venus bien près de perdre leurs élections. Les rumeurs voulant que certains députés de la Coalition, MM. Le Bouyonnec et Duchesneau y compris, ne se présentent pas aux prochaines élections, augmentent les chances du PQ de rafler ces circonscriptions, en plus de Groulx, Drummond-Bois-Francs et Montarville, où la montée de la CAQ a érodé une partie du vote péquiste en 2012.

Les allégations de financement illégal lors d’une campagne municipale visant Daniel Ratthé, dans Blainville, ainsi que le départ de Jean-Martin Aussant, l’ex-péquiste qui avait mené une chaude lutte dans Nicolet-Bécancour sous la bannière du parti souverainiste Option nationale (avec près de 8 000 voix), laisse présager d’autres percées pour les troupes de Pauline Marois.

Difficile transfert du vote
De là à dire que le PQ est en position d’améliorer de neuf circonscriptions son résultat des dernières élections, il y a un pas qu’il faut se garder de franchir. «Neuf sièges, c’est la moitié de la députation caquiste, insiste le professeur adjoint en science politique à l’Université Laval et membre de la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires Marc André Bodet. Le PQ augmentera peut-être son nombre de sièges, mais la majorité semble très peu probable.»

D’autant plus qu’ailleurs en territoire caquiste, soit le PLQ est bien installé en deuxième position, soit la CAQ possède une base électorale très forte, comme dans La Peltrie (Éric Caire) ou dans Chauveau (Gérard Deltell).

«La CAQ est bel et bien en baisse (moins de 17 % des intentions de vote, selon le dernier sondage CROP-La Presse), mais espérer un transfert automatique du vote caquiste vers le PQ est de plus en plus difficile, commente M. Bodet. C’est un électorat sensible aux discours nationalistes, oui, mais qui est aussi plus à droite que la politique que préconise le PQ.»

M. Bodet croit que les partisans déçus de la Coalition avenir Québec pourraient choisir de s’abstenir, comme cela s’était produit avec l’ADQ en 2008, alors que les rangs du parti étaient passés de 41 à 7 députés. Dans pareil cas, l’abstention n’avantagerait pas nécessairement les deux principaux partis, note-t-il.

Protéger ses acquis
S’attaquer à la seule Coalition avenir Québec ne garantit pas, selon nos experts, la majorité parlementaire au PQ. Le parti de René Lévesque doit impérativement protéger ses appuis dans plusieurs circonscriptions fragiles, arrachées aux libéraux en 2012 sur fond de conflit étudiant. «C’est une situation délicate pour les péquistes. En courtisant trop activement la CAQ sur certains enjeux, ils pourraient favoriser une remontée des libéraux ailleurs, dans des endroits où c’est le vote étudiant qui a déterminé l’élection», explique Éric Grenier.

Les députés péquistes Sylvain Roy et Roland Richer ont respectivement fait basculer l’année dernière les circonscriptions de Bonaventure et d’Argenteuil, deux bastions des libéraux. La fidélité de l’électorat n’est pas acquise, tout comme dans Sherbrooke, ancien fief de l’ex-premier ministre Jean Charest, et dans Saint-François,  où le ministre de la Santé, Réjean Hébert, a remporté par un peu plus de 100 voix un siège qui appartenait aux libéraux depuis 1985.

D’autres batailles acharnées se dessinent pour le PQ, notamment dans Roberval, où Denis Trottier affrontera le chef du Parti libéral, Philippe Couillard, ainsi que dans Crémazie, dans le nord de Montréal, où la forte population immigrante pourrait montrer la sortie à Diane De Courcy, en désaveu à cause du projet de charte des valeurs québécoises.

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Toujours à Montréal, le député Daniel Breton pourrait souffrir de la controverse qui lui a coûté son poste de ministre de l’Environnement, au profit de la solidaire Manon Massé, deuxième avec plus de 7 000 voix en 2012.

«Et il est facile d’imaginer les libéraux reprendre des circonscriptions au nord de Mont­réal», où ils sont bien organisés et disposent d’une bonne base électorale, avance le professeur Marc André Bodet, la plus emblématique étant Laval-Des-Rapides, ravie l’an dernier au libéral Alain Paquet par l’ex-leader étudiant Léo Bureau-Blouin.

La machine libérale
Avec autant de sièges potentiellement en danger, le Parti québécois doit cibler certaines circonscriptions libérales s’il espère former un gouvernement majoritaire.

Si l’arrivée de M. Couillard a fait grimper les intentions de vote en faveur du PLQ dans la dernière année, les plus récents sondages montrent que l’effet commence à s’estomper. À 40 % dans les intentions de vote en août, les libéraux ont décliné à 38 % en septembre. Le PQ, avec près de 33 % des intentions de vote, pourrait tirer profit de nouvelles révélations liées au travail de l’Unité permanente anti-corruption (UPAC) ou aux travaux de la commission Charbonneau cet automne afin de gruger l’avance des libéraux.

Néanmoins, l’électorat libé­ral est le plus constant, soutient M. Bodet. «Dans la dernière campagne électorale, les gens disaient que les libéraux étaient finis, mais ils ont récolté 50 sièges. Le PLQ est une grosse machine, capable de mobiliser plus facilement ses électeurs», explique-t-il.

Ce dernier estime toutefois que, là où le Parti québécois a fait bonne figure derrière le PLQ, une dizaine de circonscriptions libérales seraient potentiellement à portée de main.

Mégantic figure en tête de liste des circonscriptions libérales à surveiller. La gestion de la tragédie ferroviaire qui a fait 47 victimes en juillet à Lac-Mégantic donne une sérieuse option au PQ dans la région, qui a perdu par 1 000 voix derrière le député Ghislain Bolduc.

Dans des circonscriptions comme Vimont, Jean-Lesage et, surtout, Trois-Rivières, où l’ardente défenseure de la charte Djemila Benhabib a talonné la libérale Danielle St-Amand, les 1 000 voix d’Option nationale pourraient passer au Parti québécois et le placer en tête.

Dans Richmond et Papineau, le PQ est passé à un peu plus de 200 votes de l’emporter en septembre, et des circonscriptions comme Maskinongé, Mille-Îles et Fabre, où la candidate caquiste bien en vue Dominique Anglade, qui se ne représentera pas, avait divisé le vote, ont toutes trois tendance à alterner entre péquistes et libéraux.

À Montréal, une mince ouverture se dessine dans Laurier-Dorion, circonscription remportée par le libéral Gerry Sklavounos dans une lutte à trois avec Badiona Bazin, du PQ, et Andrés Fontecilla, président et co-porte-parole de Québec solidaire.

«Ultimement, Mme Marois regarde les chiffres et calcule qu’elle ne sera pas en meilleure posture l’année prochaine, pense M. Grenier. Elle joue sur les probabilités plus qu’elle ne croit en sa chance de décrocher une majorité. C’est un pari d’y aller, et c’est un pari de ne pas bouger.»

***
Voter pour le PQ, voter pour quoi?

Si le Parti québécois ne se trouve pas une raison d’être aux yeux des électeurs, il risque de sombrer dans les intentions de vote, prévient Marc André Bodet.

«On ne sait plus réellement qui sont les électeurs péquistes. Le PQ n’est plus vraiment un parti de gauche; ce n’est plus vraiment un parti souverainiste; ce n’est pas un parti urbain, mais pas vraiment un parti rural non plus», énumère-t-il.

M. Bodet juge que la charte des valeurs québécoises sert essentiellement à rehausser la mise en marché du PQ, à cristalliser le vote autour d’un enjeu fort en l’absence d’autres propositions plus rassembleuses.

«C’est une situation dangereuse pour tout parti politique qui a une longue histoire. À Ottawa, le Parti libéral du Canada paie encore le prix d’avoir perdu sa mise en marché… Le PQ est en train de tomber dans la même ornière : celle du parti qui est là juste parce qu’il est là.»

Cinq circonscriptions à surveiller :

  • Parti québécois
    • Roberval – Denis Trottier
    • Sherbrooke – Serge Cardin
    • Saint-François – Réjean Hébert
    • Argenteuil – Roland Richer
    • Crémazie – Diane de Courcy
  • Coalition avenir Québec
    • L’Assomption – François Legault
    • Saint-Jérôme – Jacques Duchesneau
    • La Prairie – Stéphane Le Bouyonnec
    • Nicolet-Bécancour – Donald Martel
    • Montarville – Nathalie Roy
  • Parti libéral du Québec
    • Mégantic – Ghislain Bolduc
    • Trois-Rivières – Danielle St-Amand
    • Laurier-Dorion – Gerry Sklavounos
    • Fabre – Gilles Ouimet
    • Jean-Lesage – André Drolet

En cas d’élections générales en décembre, le PQ peut considérer les circonscriptions ci-bas comme : en vert = à portée de main, en jaune = à risque
(Cliquez sur les cartes pour agrandir)
Carte-élections-Montréal Carte-élections-Québec
(crédit : La Presse Canadienne)

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