Alan Evans: les secrets du cerveau
Alan Evans ne connaît pas encore tous les secrets du cerveau, même s’il l’a étudié pendant 30 ans. Ce chercheur de l’Institut neurologique de Montréal, qui a récemment reçu le prix national Margolese de la recherche sur les maladies du cerveau, fait toutefois partie des quelques spécialistes mondiaux qui ont le plus contribué à le démystifier.
Comment notre perception du cerveau a-t-elle évolué dans les dernières années?
Les différents aspects de notre humanité, que ce soit le comportement, la mémoire, le langage, la vision ou l’attention, par exemple, sont distribués dans plusieurs endroits du cerveau. Nous comprenons de mieux en mieux comment le cerveau est organisé et comment les différentes régions de celui-ci communiquent. Il reste toutefois beaucoup de recherche à faire. Nous avons peut-être fait un pas dans un parcours qui en compte une centaine.
Comment a-t-on fait pour mieux le comprendre?
L’imagerie par résonance magnétique (IRM) permet de prendre des images en 3D du cerveau des patients pour comprendre les changements qui s’opèrent au cours d’une vie. Nous pouvons suivre le développement de l’ensemble du cerveau de l’enfance jusqu’à l’âge adulte et l’évolution d’un cerveau atteint de diverses maladies.
Comment votre travail profite-t-il aux patients?
Je vais vous donner un exemple. J’ai participé à des recherches pour mieux comprendre l’autisme, qui est considéré comme causé par des anormalités dans les connexions du cerveau. L’autisme n’est généralement pas détecté avant que les enfants aient trois ans. Pour étudier ce qui se passe dans le cerveau jusqu’à ce que l’autisme se déclare, nous avons suivi le développement du cerveau de petits frères et de petites sœurs d’enfants autistes, parce qu’ils ont de 15 à 20% de chance de devenir autistes également. À partir de leur naissance, nous avons scanné leur cerveau par IRM, ce qui nous a permis d’observer certains changements caractéristiques de l’autisme. En comprenant mieux les mécanismes qui mènent à l’autisme, nous sommes en bonne position pour concevoir des interventions auprès des enfants pour réduire l’impact de ce trouble.
Qu’avez-vous fait comme découvertes sur l’Alzheimer?
Par une combinaison d’IRM et de PET Scan, qui permet d’observer la chimie du cerveau, nous avons pu étudier l’accumulation de plaques amyloïdes dans le cerveau, qui sont considérées comme un facteur important de l’Alzheimer. Une analyse par ordinateur des images obtenues en scannant le cerveau de patients a permis de voir que le problème n’était pas une accumulation excessive, mais un nettoyage inefficace d’une certaine protéine. Je vais prochainement faire part de cette information à une compagnie pharmaceutique, parce que ça devrait changer leur stratégie pour la conception de médicaments.
Comment certains biomarqueurs permettent-ils de diagnostiquer de façon précoce des maladies du cerveau?
Certains changements dans l’anatomie et le flux sanguin du cerveau peuvent être observés plusieurs années avant l’apparition des symptômes de l’Alzheimer. Nous pourrions intervenir très tôt pour réduire l’impact de la maladie. Il serait possible d’observer ainsi des signes précurseurs de plusieurs maladies. Il faudrait donc effectuer un dépistage de toute la population pour qu’elle puisse avoir une idée de ce qu’est sa santé mentale. On ne le fait pas parce que notre système de santé n’en a pas les moyens financiers.
Pour mieux comprendre le cerveau, vous avez développé un «cerveau de référence». Qu’est-ce que c’est?
Cartographier en 3D un cerveau «normal» permet de voir comment il fonctionne. On peut ensuite procéder par comparaison pour comprendre comment fonctionnent les cerveaux malades. Par IRM, nous pouvons produire une carte avec une résolution d’un millimètre cube. Ça semble petit, mais il rentre des centaines de millions de neurones dans un millimètre cube. Mon équipe et moi avons travaillé sur le projet Big Brain, qui visait à raffiner cette carte pour atteindre une résolution 50 fois plus grande. Cela n’a pas été fait par IRM, mais par sectionnement post-mortem. Avec un équipement spécialisé, plus de 7000 tranches d’une épaisseur de 20 micromètres ont été faites à partir d’un cerveau humain. De 2007 à 2013, nous avons analysé les données par ordinateur afin de les reconstituer sous forme de cerveau en 3D.
Souhaitez-vous cartographier le cerveau encore plus précisément à l’avenir?
Oui, beaucoup. Plus la résolution sera fine, plus nous pourrons simuler le fonctionnement du cerveau humain de façon exacte et comprendre les différentes pathologies qui y sont reliées. L’immense Human Brain Project, dans lequel seront impliqués
200 scientifiques de plusieurs pays, dont moi-même, a l’ambition de le modéliser à l’échelle cellulaire. Ça va prendre au moins 10 ans.
Plateforme numérique
Le Big Brain, la cartographie en 3D du cerveau la plus précise à avoir été réalisée, a été rendu public sur l’internet il y a environ un an. On peut naviguer à l’intérieur du cerveau sur une plateforme numérique. Il a été téléchargé 14000 fois durant le premier mois où il a été disponible.