Espaces publics: Le mal
En 1961, l’avocat américain spécialiste de la taxation Louis Eisenstein écrivait: «Pour qu’une idéologie soit efficace, elle doit donner l’impression d’être un principe immuable qui s’élève au-dessus de toutes les préférences partisanes.»
Mardi, le ministre des finances du Québec Carlos Leitão nous répétait que les mesures budgétaires à venir, «ça va faire mal». C’est pour notre bien, nous dit-on. Pourquoi un remède efficace devrait-il nécessairement «faire mal»?
La logique du gouvernement est la suivante: couper dans les services permet d’équilibrer le budget et de ne pas faire augmenter la dette. Si la dette n’augmente pas, le gouvernement pourra continuer de fournir les services et les programmes sociaux auxquels les Québécois tiennent. Un mal pour un bien, comme on dit.
Ce qui est présenté comme un principe immuable d’économie est en fait une option parmi d’autres. Si l’objectif est bel et bien de sauvegarder les programmes sociaux, le gouvernement pourrait emprunter une tout autre voie. Il pourrait augmenter certaines dépenses au lieu de les réduire, injectant de l’argent dans l’économie, stimulant la croissance et réduisant le chômage. Les revenus de l’État augmenteraient alors via les impôts et les taxes. Il récupérerait donc son investissement, et plus encore: quand l’État investit dans l’économie, il y a un effet multiplicateur sur le revenu national. D’après le FMI, cet effet s’accroît particulièrement en période de récession ou de stagnation comme celle que nous vivons actuellement. Une partie de ces revenus retournent dans les coffres de l’État, lui permettent d’équilibrer son budget et de poursuivre ses dépenses publiques. C’est un cercle vertueux.
Ce scénario implique cependant que l’État joue un rôle important dans l’économie. Ceux qui considèrent que l’État est intrinsèquement mauvais ou inefficace ignoreront tout simplement cette option.
Dans sa mise à jour budgétaire, le ministre Leitão a annoncé qu’il n’y aura pas seulement des coupes dans les dépenses publiques, il y aura aussi de nouveaux revenus. Mais ils sont tellement maigres et épars qu’on se demande quelle incidence ils auront compte tenu de l’ampleur des objectifs budgétaires que le gouvernement s’est donnés. Par exemple, les droits d’immatriculation des très grosses cylindrées vont augmenter d’un maximum de 214$. Compte tenu de la «capacité de payer» élevée de ces automobilistes, le gouvernement aurait pu multiplier ce montant par 10 ou 15. Même chose pour la surtaxe temporaire de 1,68% sur la masse salariale des banques. C’est une industrie qui fait des profits records année après année. Pourquoi taxer les salaires quand on pourrait taxer les profits?
Les coupes massives dans les dépenses publiques ont des implications majeures pour l’économie. Elles ralentissent la croissance et créent de l’instabilité. L’acharnement contre-productif de l’Europe en faveur de l’austérité en est un exemple révélateur.
Si les mesures du gouvernement Couillard ont pour objectif de sauver l’État-providence, comme on nous le répète, de nombreuses avenues pourraient être envisagées autres que la réduction dramatique des dépenses publiques. Mais ces avenues n’ont jamais été même envisagées. Le citoyen, pantois, est en droit de se demander pourquoi.
Les opinions exprimées dans cette tribune ne sont pas nécessairement celles de Métro.