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25 ans après Polytechnique: briser le plafond de verre

Photo: Yves Provencher/Métro

Il y aura de cela 25 ans, samedi, le tireur Marc Lépine entrait à l’École Polytechnique, faisant 14 femmes victimes. Métro fait le point avec deux élues montréalaises, de deux générations, qui continuent de lutter pour l’amélioration de la place de la femme dans la société.

Après les événements de Polytechnique, quel regard la société a-t-elle porté sur la tragédie?
Lorraine Pagé (chef du Vrai changement pour Montréal): Ça a pris un certain temps avant que la société québécoise mette des mots là-dessus. Pendant des mois, c’était l’acte d’un fou, d’un malade. Quand les femmes contredisaient ce point de vue, on se faisait accuser, comme féministes, de vouloir récupérer l’événement à notre avantage. C’est que la tuerie est arrivée à une période où les gens disaient qu’on n’avait plus besoin d’être féministe, que tout était réglé. Mais Polytechnique, c’était l’illustration évidente que tout n’était pas réglé. Ça a pavé le chemin à une certaine renaissance du mouvement féministe.

Pourquoi vous faites-vous un devoir de mémoire, 25 ans plus tard?
Elsie Lefebvre (conseillère dans l’arrondissement de Villeray): Ça permet de se questionner sur où nous en sommes rendues. Quand j’étais jeune, je n’étais pas tellement féministe, parce que je voyais que tout était possible pour une jeune femme. Mais maintenant je me rends compte qu’il existe encore un plafond de verre. Dans les sphères politique, économique, juridique, même à l’université, il y a encore une proportion plus importante d’hommes. C’est encore exceptionnel quand une femme atteint une fonction importante, alors que ça devrait aller de soi.

L.P.: De façon plus précise, Polytechnique nous renvoie à la question de la violence faite aux femmes. C’est probablement la cause qui transcende la réalité des femmes de tous âges, de tous milieux et de tous pays. Pendant longtemps, une femme qui était victime d’agression, c’était elle la coupable, parce qu’elle était sortie trop tard ou parce qu’elle était habillée trop sexy. Il y a trop de silence autour de cette réalité.

Où en est la lutte pour l’amélioration de la place de la femme au Québec?
E.L.: Il y a des moments ou je suis très optimiste. On a eu une première femme première ministre, et pour moi c’est un symbole important. Mais il n’y a pas encore cette pleine égalité. Les conseils d’administration sont majoritairement présidés par des hommes, et souvent, les femmes sont encore considérées comme junior.

L.P.: On a eu le droit de vote, mais nous sommes sous-représentées chez les élus. Les femmes sont plus instruites que les hommes, mais elles sont concentrées dans des secteurs en lien avec la nature féminine : éducation, santé, garderie. On a le droit au travail, mais on nous met des embuches pour concilier travail et famille. On a fait d’immenses progrès, mais il reste des situations qui ne sont pas réglées.

Qu’est-ce qui fait bloquer les choses?
L.P.: On est dans une société patriarcale. Une société qui s’est développée autour de l’idée que l’homme était le chef. Les religions ont conforté cette vision des choses. Les sociétés se sont organisées en fonction de cette perception des rôles. Alors tu ne peux pas ébranler ce modèle en quelques décennies.

E.L.: On y est presque. J’ai quelques amies qui occupent de hautes fonctions, mais c’est encore précaire.

«Le féminisme d’aujourd’hui est différent. C’est un féminisme de tous les possibles. On a accès à tout, mais il faut trouver comment faire éclater ce dernier plafond de verre» – Elsie Lefebvre, conseillère dans l’arrondissement de Villeray

Est-ce que ces améliorations à faire passent par la politique?
E.L.: Beaucoup par la politique. Je pense que les grands changements de société se font par des politiques notamment sociales. On le voit avec les politiques familiales, qui sont atteintes de plein fouet [par le gouvernement provincial]. Ce sont ces politiques qui ont permis une arrivée majeure des femmes sur le marché de l’emploi.

Aussi, des politiques qui permettent une parité sur les conseils d’administration. Certaines femmes ne veulent pas de ces politiques, parce qu’elles veulent être choisies pour leurs qualités. Oui, moi aussi. Mais si on attend que ça se fasse d’une façon naturelle, ça va prendre encore combien de temps?

L.P.: Ça passe par l’action politique, mais aussi par l’éducation. Il faut éduquer les garçons et les filles à des rapports égalitaires en amour, en amitié dans le travail et à éliminer les préjugés.

Quelles sont les difficultés rencontrées par les femmes ayant des enfants?
L.P.: Il y a une étude de Harvard qui dit que la majorité des gars ont la perception que leur carrière va être plus importante que celle de leur épouse, et les femmes, en grande majorité, ont la perception que leur carrière sera aussi importante que celle de leur conjoint. Ça nous montre le chemin qu’il y a encore à faire.

E.L.: Pour atteindre les postes de pouvoirs, il faut être prêt à se dédier. Notre société n’est pas adaptée à la conciliation travail-famille. On a fait beaucoup, mais on doit aller encore plus loin. Si on ne modifie pas le cadre de travail des femmes, avec des garderies dans les lieux de travail, par exemple, et de bonnes politiques familiales, elles s’excluent et ça perpétue un système qui n’est pas adapté aux valeurs de notre société en 2015.

«Dans la hi��rarchisation du pouvoir, on en demande encore beaucoup plus à la femme qu’à l’homme; elle a moins droit à l’erreur.» – Elsie Lefebvre, conseillère dans l’arrondissement de Villeray

Avec l’augmentation des frais dans les CPE, est-ce que vous êtes inquiètes pour la situation des femmes?
L.P.: Pour moi, c’est une négation du droit au travail des femmes. Dans un couple, dans 90% des cas, les frais de garde sont assumés avec le salaire de la mère souvent inférieur au salaire du mari. Donc quand tu augmentes les frais de garde, tu forces le débat à savoir si ça vaut la peine que la femme aille travailler.

E.L.: C’est terrible, d’autant plus que ça a permis de sortir beaucoup de femmes de la pauvreté et de situations de dépendance. Mais je pense qu’il faut être confiantes. C’est un phénomène qui va se rétablir parce les femmes n’accepteront pas de se faire dire «votre place est à la maison». Il y a des femmes qui vont continuer la lutte.

Cible de Marc Lépine: «J’étais sur la liste»
Lorraine Pagé, au moment des événements de Polytechnique, était en réunion en tant que présidente de la Centrale de l’enseignement du Québec (CEQ). C’est le lendemain, le 7 décembre 1989, qu’elle apprend qu’elle était l’une des cibles du tireur.

«La police m’a appelé pour me dire que Marc Lépine portait une liste de femmes à abattre et que j’étais sur la liste. Le premier geste que j’ai fait, c’est d’appeler mes filles, je ne voulais pas qu’elles s’inquiètent. C’est là que j’ai compris que c’était une tuerie faite à des femmes, parce qu’elles véhiculaient une certaine conception de la femme. Ma vie aurait pu basculer en l’espace de quelques secondes, comme ces jeunes femmes qui avaient la vie devant elle», a-t-elle confié à Métro.

 

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