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Une histoire de compromis

Photo: Graham Hughes

Alors que nous nous apprêtons à célébrer le 75e anniversaire du droit de vote des femmes au Québec, il est sage de nous rappeler combien cette option paraissait farfelue lorsqu’elle a commencé à être évoquée.

Bien sûr, on se doute que certains hommes n’étaient pas chauds à l’idée de partager ce privilège. C’était le cas notamment de Louis-Joseph Papineau qui, en 1834, trouvait «odieux» que des pères et des époux traînent leurs filles et leurs femmes dans les isoloirs. Remarquez, ce ne sont pas les femmes qu’on ne jugeait pas dignes de la politique, mais la politique qu’on jugeait trop sale pour les femmes. Du moins, c’était l’excuse qu’on donnait à cette époque. L’historienne Micheline Dumont rappelait aussi hier dans les pages du Devoir que L. O. David, l’arrière-grand-père d’une des plus illustres féministes de notre époque, proposait en 1918 que le droit de vote accordé aux Canadiennes soit retiré aux célibataires de moins de 30 ans. Que pouvait bien penser une femme de la politique, sans homme!

Plus curieusement, on remarquera que, parmi les personnes qui s’opposaient au droit de vote des femmes encore au début du siècle dernier, se trouvaient aussi des femmes, et parmi elles, des féministes. C’est ce que j’ai constaté notamment à la lecture d’Elles étaient seize, un récit de Linda Kay relatant l’histoire des premières femmes journalistes au Canada. Toutes se disaient féministes, mais la plupart s’opposaient au suffrage féminin, une proposition jugée trop radicale. Bien sûr, ces journalistes étaient le fruit de leur époque, qui jugeait que le rôle d’une femme était de s’occuper du foyer. Mais on peut aussi s’imaginer qu’elles avaient tout avantage à limiter leurs revendications, de façon à conserver leur tribune, cet immense privilège qui constituait déjà une petite victoire pour elles.

L’évolution des revendications sociales procède presque toujours ainsi par compromis. Pour faire accepter une chose, suivant la stratégie des petits pas, on en compromet le principe général. La plupart du temps, ces compromis, parce qu’ils sont en harmonie avec l’air du temps, sont faits sans qu’on s’en rende compte. Pierre Elliott Trudeau était progressiste en disant, en 1969, que l’État n’avait pas sa place dans la chambre à coucher, pour faire accepter la décriminalisation de l’homosexualité. On ne réalisait pas à l’époque le compromis que constituait le fait de cantonner ainsi l’homosexualité dans une dimension strictement sexuelle. En même temps, il s’agissait peut-être de l’image la plus efficace pour faire comprendre aux conservateurs que la question ne concernait au fond que des adultes consentants.

C’est peut-être une vérité de La Palice de dire que les idées radicales d’aujourd’hui seront la norme de demain. Ce n’est pas toujours le cas. Mais à la lumière de notre expérience collective en matière d’évolution des droits, peut-être aurions nous avantage à mieux comprendre les compromis que nous faisons sur des idées qui nous paraissent aujourd’hui radicales, et ainsi saisir le coût réel de nos petites victoires.

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