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Intimidation à la garderie: un problème ignoré

Photo: Getty Images/iStockphoto


La violence physique, verbale et sociale est fréquente entre les enfants dans les garderies. Les parents dont les enfants subissent ces sévices à répétition ont toutefois peu de recours au Québec, dénonce une mère.

Alors qu’elle avait deux ans et demi, Léa* a commencé à revenir de la garderie avec des blessures. Cette petite fille timide, mais sans signe distinctif, s’est graduellement repliée sur elle-même. Elle ne voulait plus aller à la garderie, un centre de la petite enfance (CPE) de Montréal.

«Quand ma fille s’est mise à me raconter ce qui se passait, ça m’a beaucoup inquiétée. Deux petites filles s’acharnaient quotidiennement sur elle : coups, insultes, crachats, exclusion, menaces», raconte sa mère, Jessica*.

Le cas de Léa ne serait pas isolé. Nicole Malenfant, professeure en éducation à l’enfance au Cégep Édouard-Montpetit, dit avoir été témoin de relations de domination malsaine entre des enfants âgés de quatre ans seulement. «Ça va être de s’acharner sur un ami, par exemple, en le privant de ses jouets ou en l’isolant des autres. Il y a aussi beaucoup de menaces, et les petits s’arrangent pour que l’éducatrice n’entende pas», rapporte Mme Malenfant.

«Ce n’est pas avant six ou sept ans que les enfants sont vraiment capables d’empathie, de considérer le point de vue de l’autre, poursuit la spécialiste. Certains prennent plaisir à malmener un de leurs pairs.» Les victimes sont souvent des enfants qui ont de la difficulté à s’affirmer.

Selon Richard E. Tremblay, psychologue et chercheur pour le Groupe de recherche sur l’inadaptation psychosociale chez l’enfant, la petite enfance est carrément le moment de la vie où on risque le plus d’être intimidé. Le psychologue juge qu’il est très important de prendre les cas d’intimidation en main à cet âge. «Si on ne règle pas à cet âge-là le problème d’un enfant qui est victimisé ou qui victimise, ça risque de le suivre toute sa vie», souligne-t-il.

Tolérance zéro nécessaire
Plusieurs spécialistes interrogés par Métro affirment que ces situations peuvent être réglées lorsque les adultes responsables agissent avec fermeté pour les faire cesser, en intervenant aussi bien auprès de l’enfant intimidé qu’auprès de l’intimidateur, en impliquant les parents et en effectuant un suivi serré. L’importance de la prévention, en amenant les enfants à acquérir des habiletés sociales, a aussi été abondamment mentionnée.

Les agressions envers Léa, elles, se sont poursuivies pendant deux ans et demi. Pourtant, Jessica n’a pas ménagé ses efforts pour que cesse ce qu’elle qualifie d’intimidation à l’endroit de sa fille.

«Le CPE n’a pas reconnu le problème. La direction a fait du déni, m’a traitée comme une fatigante et ne m’a offert que très peu d’aide», déplore-t-elle.

Jessica raconte avoir été témoin d’un de ces actes de violence une fois qu’elle était venue chercher sa fille à la garderie. «L’éducatrice n’a pas réprimandé l’enfant fautif, se rappelle la mère. Et quand une enfant menaçait ma fille de mort de façon explicite, en disant comment elle allait la tuer, je me faisais dire: “Vous savez bien qu’elle ne le pense pas!”»

Un manque de ressources
Tous les ingrédients sont-ils réunis afin que les CPE et les garderies préviennent ou interrompent adéquatement les situations d’intimidation? Lucie Champagne, coordonnatrice des services éducatifs à l’Association québécoise des CPE, croit que oui, à tout le moins dans les CPE.

«Le programme éducatif, qui fait partie de la formation initiale des éducatrices, inclut des outils pour apprendre aux enfants à gérer leurs émotions, à se maîtriser, à s’exprimer autrement que par la violence, à s’affirmer. Les éducatrices doivent aussi suivre un nombre minimal d’heures de formation chaque année», explique Mme Champagne.

Plusieurs intervenants considèrent au contraire qu’il y a beaucoup de place à l’amélioration. «Dans des milieux de garde où il y a un manque de supervision, d’encadrement de la part de la direction, de formation des éducatrices, de ressources et de lieux d’échange, des situations montent en épingle et deviennent des drames», constate Mme Malenfant.

«Il n’y a pas toutes les ressources professionnelles nécessaires pour repérer et accompagner les jeunes susceptibles d’avoir des problèmes.» – Denis Leclerc, président de l’Ordre des psychoéducateurs du Québec (OPPQ)

Les problèmes importants nécessitent que les éducatrices soient soutenues par un professionnel spécialisé comme un psychoéducateur, soutient M. Tremblay. Toutefois, seuls 44 psychoéducateurs sur les 4000 pratiquant au Québec travaillent dans le réseau de la petite enfance et environ 700 le font dans les CLSC, selon le rapport annuel 2013-2014 de l’OPPQ. Seulement ça pour desservir les plus de 3500 garderies recensées par le ministère de la Famille.

André Marcotte, président du Regroupement des CPE de l’île de Montréal, dénonce également ce manque d’accès à des services spécialisés. «Dans le contexte de sous-financement actuel, la seule manière dont on peut avoir accès à des services spécialisés est de recevoir une subvention spéciale pour un enfant handicapé ou une clientèle hautement défavorisée», a indiqué celui qui est aussi directeur du CPE Carcajou à Montréal.

Jessica, pour sa part, avait contacté le CLSC de son quartier, qui avait envoyé une éducatrice spécialisée pour aider Léa à s’affirmer. «Ça a aidé un temps, mais les agressions ont repris sitôt que le suivi du CLSC a cessé», a-t-elle relaté.

Peu de recours possibles
Que peuvent faire les parents lorsque les milieux de garde ne prennent pas la situation en main, comme ç’a été le cas pour Jessica?

La ministre de la Famille, Francine Charbonneau, recommande de s’adresser au conseil d’administration du CPE, qui est majoritairement composé de parents. En dernier recours, les parents devraient contacter son ministère.

C’est finalement après que Jessica eut menacé de faire une plainte au ministère que le CPE a mis en place un plan d’intervention auprès de sa fille et des intimidatrices. Aujourd’hui, en travaillant avec une pédopsychiatre en service privé, Léa reprend confiance en elle et se porte mieux.

Malgré tout, Jessica croit que les milieux de garde devraient avoir davantage de responsabilités dans la lutte contre l’intimidation. «Rien n’oblige les garderies à conclure une entente avec un établissement ou un organisme du réseau de la santé pour offrir des services aux élèves lorsqu’un acte d’intimidation ou de violence est signalé. Rien ne les oblige à intervenir auprès des élèves intimidateurs ou à faire de la prévention», fait-elle remarquer.

Une solution, selon Jessica, serait d’inclure les garderies dans la Loi visant à prévenir et à combattre l’intimidation à l’école, adoptée en juin 2012, qui établit plusieurs obligations des écoles primaires et secondaires et de tous ceux qui gravitent autour.

Un plan d’action concerté pour lutter contre l’intimidation est attendu pour l’automne 2015. Le ministère de la Famille, qui coordonne cette lutte, prévoit y inclure des mesures pour les enfants de zéro à cinq ans, surtout des actions préventives en lien avec leur développement social et affectif. «On n’est pas encore arrivé à décider si on fait une proposition de loi ou une proposition de mesures de soutien qui passent par différents ministères», a dit Francine Charbonneau à Métro.

De l’intimidation ou pas?

Les spécialistes ne s’entendent pas au sujet de la notion d’intimidation durant la petite enfance.

Lucie Champagne, de l’Association québécoise des CPE, estime que les enfants de cet âge ne peuvent pas formuler l’intention d’intimider. «L’intention première des enfants n’est pas de nuire ou de faire mal, mais d’exprimer une émotion ou d’obtenir quelque chose», a-t-elle justifié.

«L’intimidation est un phénomène de groupe, qui ne s’applique pas nécessairement au préscolaire», a pour sa part estimé Denis Leclerc, de l’Ordre des psychoéducateurs.
La situation décrite par Jessica semble pourtant correspondre à la définition préconisée par le ministère de la Famille, à savoir un comportement répétitif, caractérisé par l’inégalité des rapports de force et ayant pour effet de blesser.

«Le mot “intimidation” a sa place à partir de quatre ans au Québec en 2015, assure pour sa part Nicole Malenfant, professeure en éducation à l’enfance. Peu importe comment on appelle ça, quand un enfant impose ses règles à un autre dans divers moments de vie et que ça perdure, ce n’est pas acceptable.»

*Des noms fictifs ont été employés pour préserver l’anonymat des personnes concernées.

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