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Petit mot pour Richard

Frédéric Bérard

Salut Richard,

J’ai lu ta chronique sur «Les Québécois, ces chiens enragés», où tu me désignais de «professeur» (entre guillemets), ceci avant de me traiter de colon. La raison ? J’aurais osé plaider ceci : «les tribunaux sont venus servir de rempart aux humeurs populaires. Je crois que vous devez envoyer un message fort à une société qui dérape».

Je t’admets avoir hésité, au moins un brin, avant d’écrire ceci. Parce que j’adore collaborer auprès de Québécor et que, selon de (persistantes) rumeurs, tu réussis à faire barrer quiconque tenant tête au Roi Richard. Oseras-tu, cette fois ?

Pour la raison suivante, j’ai néanmoins opté pour l’audace, sinon le courage : ton comportement de bully de cour d’école a fait son temps, Richard. Idem pour cette ignoble manie de fabriquer hommes et femmes de paille avant d’y mettre le feu, le tout devant une foule ébahie par ta fougue (ps: grâce à ta chronique, je reçois depuis menaces de tout acabit).

Or, tes tactiques délétères empoisonnent, pardon de l’euphémisme, la vie publique québécoise. Pourrissent le débat, la discussion, l’échange. Ironiquement, tu revendiques aisément les méthodes terroristes que tu dénonces : poser la bombe, jouir de l’explosion et t’enfuir ensuite. Comme un petit lapin.

Question, au fait : sur quoi repose toute cette haine des universitaires ? Pourquoi cet acharnement, déformation des propos (allô, Daniel Weinstock) et attaques ad hominem ? D’aucuns finiront par conclure que tu souffres de complexes, Richard.

J’admets d’ailleurs avoir sursauté chaque fois que tu écris (oui, je te lis) que l’université se doit d’enseigner des faits, et non des idées. Une pédagogie universitaire dénuée de concepts ou mouvances idéologiques, donc ? Ceci explique peut-être cela, tu me diras.

Reste que c’est justement à un concept, pourtant pas sorcier à comprendre, auquel je faisais référence : celui de l’État de droit. Qui veut qu’en démocratie, les tribunaux agissent à titre de remparts face aux pouvoirs législatifs et exécutifs. Qui s’assurent que ces derniers respectent les règles du jeu, notamment lorsqu’il est question de droits fondamentaux. Fou de même, mon Richard.

Par ailleurs, si t’avais pris connaissance de ma plaidoirie (dispo en ligne), plutôt que de me planter en sauvage en t’arrêtant à 8 mots rapportés dans le journal, t’aurais remarqué ceci : je référais alors à l’exemple de Bryden, où les tribunaux abrogèrent une loi de la Colombie-Britannique interdisant aux Canadiens d’origine chinoise de travailler dans les mines.

À celui de Switzman, où ils invalidèrent la Loi sur le cadenas.

À Roncarelli, où ils confirmèrent que dans un État de droit, les femmes et hommes politiques demeurent assujettis à la règle de droit.

À Morgentaler, où ils bottèrent le cul d’un Parlement refusant d’accorder le droit à l’avortement.

À Burns, où ils refusèrent le droit de sous-traiter la peine de mort.

À Vriend, où ils stoppèrent une discrimination subie par les conjoints de même sexe.

PTI, un dénominateur commun unit l’ensemble de ces décisions : l’humeur populaire s’était dressée, dans chaque cas, à l’encontre des groupes visés. La pognes-tu, Richard ?

Si oui, tu comprendras que ton argument «qu’une majorité de Québécois appuie la Loi 21» ne tient que dans les régimes refusant le contrôle judiciaire, l’État de droit, et donc, la démocratie. Pas sûr ? Alors trouve-moi une démocratie dénuée du socle de l’État de droit. Bonne chance.

Reste maintenant à savoir si, toute proportion gardée, le Québec dérape. Tu l’ignores manifestement, mais de récentes études du professeur (sans guillemets, dans son cas) Paul Eid, témoignent que 32% des Québécois souhaitent interdire l’immigration musulmane. Un sur trois, pratiquement. La question qui tue, maintenant : à partir de quel pourcentage, Richard, conclurais-tu au dérapage ? 50% ? 100% ? 1500% ? Jamais ?

Sont aussi d’intérêt les propos de François Legault à Radio-Canada, expliquant le pourquoi de la Loi 21 :

«Pour éviter les extrêmes, il faut en donner un peu à la majorité […] Je pense que c’est la meilleure façon d’éviter les dérapages. On délimite le terrain, parce qu’il y a des gens un peu racistes qui souhaiteraient qu’il n’y ait pas de signes religieux nulle part, même pas sur la place publique.»

Remplace ici le mot «raciste» par «homophobe» ou «misogyne», et tu devrais saisir de quoi il en retourne.

Avant de te laisser, j’aimerais te faire découvrir les mots d’un Camus autre que Renaud, (heureusement) sans lien de parenté avec celui-ci. Il s’appelle Albert, et a jadis prononcé ces (sages) paroles : «La démocratie, ce n’est pas la loi de la majorité, mais bien la protection des minorités.»

Cordialement,

Un colon (avec ou sans guillemets)

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