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Zaynê Akyol : «De plus beaux et plus libres lendemains»

Photo: Josie Desmarais

Qu’est-ce qui pousse une jeune femme d’origine kurde, vivant à Montréal, à quitter son confort, son quotidien, pour s’enrôler au sein du Parti des travailleurs du Kurdistan? En partant sur les traces de sa gardienne d’enfance, qui a «soudainement disparu de sa vie» et qui, en 2000, est décédée au combat, la cinéaste montréalaise Zaynê Akyol a trouvé des réponses – et posé pied au Gulîstan, terre de roses.

En allant tourner au Kurdistan irakien, Zaynê Akyol savait qu’elle ferait un film qui parlerait de liberté. Mais elle ne savait pas qu’elle parlerait autant «de femmes, de féminité, de féminisme». «Je m’étais renseignée avant de m’y rendre, mais c’est une autre histoire en vrai. Je pense que je n’étais pas si bien documentée que ça finalement!» lance-t-elle, avant d’éclater de rire.

Dans son film aussi, ses protagonistes rient beaucoup. Et ce, même si le contexte est dur, que la situation semble inextricable. Reste que, dans plusieurs scènes, la réalisatrice de 30 ans, arrivée au Québec quand elle en avait 4 et demi, montre des combattantes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), partageant un repas, assises en cercle par terre. Rigolant. Dans leurs discussions, une étonnante légèreté. Et des blagues à l’humour noir, dont certaines sur État islamique, groupe contre lequel elles résistent. «Ça montre à quel point la stratégie de Daech est inhumaine, note-t-elle. À quel point tout ça les dégoûte.»

Devant sa caméra («C’est moi, la caméra», précise-t-elle à une dame qui ne sait où regarder), celle qui a étudié en cinéma à l’UQAM présente ces femmes, leurs idées, leur entraînement, leur combat. «Si l’Iran attaque, ce lieu sera le premier visé. Si la Turquie attaque, même chose. Daech, c’est pareil. C’est un endroit triangulaire», explique l’une d’entre elles.

«Je ne suis pas allée là pour combattre. J’y suis allée pour montrer un autre visage de la femme au Moyen-Orient. Celle que l’on présente souvent, surtout en guerre, comme une victime. Celle qui pleure ses enfants, celle qui pleure son mari. Moi, je voulais montrer la femme forte. Celle qui ne se laisse pas faire.»

Le documentaire mise aussi sur les confidences, dans une formule journal intime filmé. Comme celles de Rojen, 23 ans, qui précise avoir joint la guérilla en 2012. «Te souviens-tu de cette journée?» lui demande Zaynê, en voix hors champ. «Peut-on jamais oublier une telle journée?» lui rétorque la jeune femme. Vrai, concède la documentariste, qui se souvient, quant à elle, de la «première fois de sa vie» où elle s’est rendue au Kurdistan irakien, il y a six ans. «C’était dans les montagnes, au nord. L’armée iranienne nous a attaqués. On a vite dû évacuer les lieux», relate-t-elle. C’est aussi durant ce bref tournage qu’elle a rencontré celle qui est devenue un de ses personnages principaux : Sozdar Cudî. Qu’elle a retrouvée quand elle est retournée dans la région en 2014.

Avec ses airs de «sage», plus âgée, Sozdar agit comme «la conscience» du groupe armé qu’est le PKK, qui est classé parmi les organisations terroristes par le Canada. «Tout ça, ce sont des ententes entre divers pays. Des jeux de politique. Il faut bien étudier la situation avant de se prononcer», tranche la réalisatrice à ce sujet. Elle ajoute toutefois qu’elle trouve «difficile d’être contre ce que ce parti fait valoir. L’égalité, la démocratie directe, l’écologie, l’acceptation de toutes les religions, de toutes les cultures, de toutes les langues.»

Dans la scène d’ouverture, la Sozdar susmentionnée montre une cicatrice sur son crâne. Et ajoute regretter de ne pas en avoir une semblable sur le visage. «J’ai l’impression que ça m’embellirait…» lance-t-elle. «Ça nous confronte à notre propre conception de la beauté, remarque Zaynê Akyol. Pour Sozdar, femme ancrée dans la réalité tout en étant très poétique, avoir une trace, ça veut dire avoir combattu.»

Tourné de juillet à septembre 2014, le documentaire baigne dans des tons de bleu, vert forêt, gris. S’éloignant volontairement des clichés de «l’esthétique désertique». «Tous les films qui se passent au Moyen-Orient, c’est… jaune. Je ne voulais surtout pas aller là-dedans.»

Autre choix de mise en scène : filmer fréquemment les femmes de dos, pendant qu’elles sont dans la tranchée, ou qu’elles descendent un escarpement. «Je pense qu’il y a quelque chose qui se révèle dans le dos. On peut donner beaucoup d’intention, d’émotion, observe Zaynê. Il n’y a pas d’expression qui suit; il y a juste l’environnement.» Et puis, il y a quelque chose de la confidence aussi quand les deux filles de deux bataillons se rencontrent. Rapprochées, elles chuchotent. «On est dans leur bulle, mais pas trop.»

Dans cette bulle, mais pas trop, la cinéaste dit avoir réalisé un film sur l’attente. À sa surprise. «Je ne m’attendais pas à ce que ça soit ça, la guerre! On pense que ça explose à tout bout de champ, mais non, c’est beaucoup de guet, d’observation, de surveillance. Ah, il y a une voiture qui s’en vient, ah, aujourd’hui il y en a eu deux, ah, il y a peut-être quelque chose qui se prépare.» Avec le temps, tant le directeur photo Étienne Roussy que le preneur de son Mathieu Bouchard-Malo qu’elle-même y sont rentrés, dans la bulle de ces femmes. En restant, toutefois, en retrait. «On a eu des discussions politiques, des discussions de fond. Mais en même temps, ma place de cinéaste, je ne l’oublie pas.»

Gulîstan, terre de roses
En salle aujourd’hui

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