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Marie-Ève Lacasse: Dans la maison de Peggy Roche et de Françoise Sagan

Photo: Chantal Lévesque / Métro

Peggy dans l’ombre de Françoise Sagan. Peggy dans le secret de leur amour. Peggy dans les flashs des photographes. Peggy dans les phares de Marie-Ève Lacasse.

Peggy Roche a été mannequin, styliste, amante de Françoise Sagan. Reléguée au second plan de l’histoire, elle est désormais menée dans la lumière par l’auteure québécoise Marie-Ève Lacasse qui fait, de leur histoire à elles, le sujet du premier roman qu’elle publie depuis 10 ans. Un roman né d’une grande question: comment fait-on pour aimer longtemps?

Passant de narratrice omni­sciente, au «je», au «tu», l’écrivaine trentenaire résidant aujourd’hui à Paris imagine cette relation complexe, houleuse et sincère, qui n’a rien eu du coup de foudre vécu, consommé, oublié.

D’une plume riche et profonde, elle décrit plutôt «l’humilité brutale que nécessite l’expérience d’aimer», les déceptions, les trahisons et tout le beau qui a lié ces deux femmes. En effet, comme on le lit dans ces pages: «La félicité des premiers instants n’est rien par rapport à la force irremplaçable d’un couple vieux, qui s’est vu plus d’une fois marcher dans la laideur.»

En toile de fond de ce récit: l’art de vivre de l’époque, ce «loisir studieux», comme l’appelle l’écrivaine, «ces années d’insouciance par rapport aux sous, au travail, à la légèreté sexuelle. Cette dolce vita que l’on ne connaît plus de nos jours, et que l’on ne connaîtra probablement plus jamais.» Au détour, on croise Bernard Buffet, on écoute un film de Bertrand Blier, on assiste à l’invention de la minijupe, on sort en boîte, on boit du champagne et on écoute du jazz. «C’est impossible d’être triste en écoutant du jazz.» En lisant ce livre, oui. Mais c’est une belle tristesse.

Dans un passage, Peggy Roche pense à Françoise Sagan en ces termes: «Tu es toujours là, présence absente.» Diriez-vous que «présence absente» qualifierait le mieux la façon dont vous vouliez que Sagan existe dans votre livre?
Oui, probablement. Parce que la tentation de parler de Françoise Sagan était grande. Parce qu’on a beaucoup, beaucoup d’information sur elle. Par les archives, par les témoins, par les biographies. Je devais en permanence calmer le jeu pour laisser Peggy occuper plus de place. Et puis, Sagan est aussi une présence absente du fait de sa dépendance aux drogues, du fait que dans une bonne partie du livre, elle est plongée dans un coma artificiel. Elle est donc assez fantomatique, même si, assez rapidement, elle s’incarne, elle est là, parce que cette histoire d’amour devait aussi prendre forme. Peggy n’est pas amoureuse d’un fantôme ou d’une idée de l’amour. Elle est amoureuse, vraiment, de Françoise, et elles ont un quotidien tout à fait réel, conjugal, partagé dans cette maison.

Cette maison occupe d’ailleurs une place de choix. Peggy pense: «Parfois, nous sommes si loin l’une de l’autre que je ne sais plus ce qui nous lie à part cette maison.» Françoise, elle, en voyant Peggy, a «la sensation retrouvée d’une maison que l’on aurait habitée depuis longtemps». Un lieu inspirant à la fois physiquement et métaphoriquement?
La maison est une boîte qui renferme leurs secrets. Quand elles y entrent, elles sont de nouveau protégées. Et la chambre, c’est un socle. C’est le cœur de l’intimité la plus ultime. Une intimité de sensualité et de sexualité, bien sûr, mais aussi une intimité de vie et de mort. On naît dans un lit, on meurt dans un lit. En fait, si on faisait une pièce de théâtre avec ce livre, peut-être que le décor principal serait la chambre.

À un moment, vous racontez que Françoise Sagan passe son temps à marcher sur les plages de Pennedepie avec celui qui deviendra son second mari, Robert Westhoff. Et vous notez : «Que faire d’autre? Parfois, écrire, c’est ne pas écrire.» Pour écrire ce roman, vous aussi, vous avez beaucoup «ne pas écrit»?
Il y a surtout eu une grande période de silence entre ce livre et mon précédent, Genèse de l’oubli [paru en 2006], qui avait été un flop absolu, commercial, critique, tout ce qu’on veut. J’ai mis quelques années à m’en remettre. J’ai aussi fini mes études, j’ai gagné ma vie, j’ai eu un enfant… Enfin, voilà, ces choses ont pris beaucoup de place, d’énergie et de temps. Du temps pendant lequel, malheureusement, je ne me suis pas restreinte à un travail d’écriture romanesque. Mais, même si je pensais que je n’écrivais pas, au fond, j’écrivais, puisque j’emmagasinais du vécu, des souvenirs, qui sont retranscrits dans une certaine mesure dans ce livre. Au fond, je ne sais rien de l’intimité entre Peggy et Françoise, mais c’est une juxtaposition. J’ai puisé dans ma propre expérience de l’amour, de la dépression, de la maladie, pour restituer ce que j’imagine être cette vérité.

Dans un passage, vous notez: «Comme il était doux, le temps d’avant, pense Françoise, lorsqu’elle découvre à ­
18 ans qu’elle peut, qu’elle veut, qu’elle va écrire toute sa vie.» Ça fait partie de ces choses que vous avez juxtaposées de votre propre expérience?
Oui. (Sourire) Quand on se sent profondément écrivain, arrêter d’écrire, comme je l’ai fait, c’est très bizarre. C’est trop souffrant, trop étrange. J’avais l’impression d’être dans un train qui avait déraillé. Et c’est dangereux, les trains qui déraillent.

L’écriture est une véritable jubilation; je voulais qu’elle occupe une grande place dans ma vie. Le jour où j’ai compris que ce livre allait exister et qu’il allait être publié, mon existence s’est vraiment métamorphosée! Et depuis la naissance de Peggy, depuis sa parution physique, elle a continué de se transformer de manière jolie et positive. Je me dis donc que j’ai eu raison de persévérer, que c’était vraiment ce que je devais faire! Après, je ne dis pas qu’au prochain, je ne vais pas me planter lamentablement et que ce ne sera pas un nouveau flop! Il n’y a aucune certitude.

«Je me demande toujours ce qu’il faut cacher, ce qu’il faut dévoiler. Est-ce que je révèle quelque chose de moi-même? Est-ce que je suis masquée sous quelque chose d’autre? C’est une question capitale. Qui ponctue toute la vie d’écrivain.» – Marie-Ève Lacasse

Dans votre postface, vous expliquez la démarche qui vous a menée à écrire ce roman, toutes les recherches et les entrevues que vous avez réalisées et ce questionnement qui vous travaillait en vous lançant dans cette aventure, à savoir: «Allais-je me trouver en Peggy?» On imagine que… oui?
Hmmm… Eh bien, pour imaginer son histoire d’amour avec Françoise Sagan, je suis allée puiser dans la mienne, celle que je vis depuis quelques années avec cette Mlle Roche à qui est dédié le livre. Il y a donc là quelque chose de moi, et de ma relation avec «ma Peggy Roche». Après, je ne pense pas du tout pouvoir m’identifier à Sagan. Je n’ai certainement pas son talent. Et puis, je ne suis pas du tout excessive! J’ai une vie extrêmement ennuyeuse. Je ne passe pas mes nuits à boire de l’alcool, à me droguer, à aller danser… Mais si j’ai pu décrire ces sentiments d’inquiétude, d’angoisse, d’émoi amoureux, peut-être que c’est parce qu’il y a quelque chose d’universel dans ces émotions. Mais comment savoir? Votre idée de l’amour, par exemple, est probablement très différente de la mienne. Même votre idée du pain, ou votre idée du lait! (Rires) C’est vraiment une opinion très personnelle de Peggy et de Françoise. Si un autre auteur avait écrit sur elles, ce n’aurait pas été le même bouquin.

Vous le précisez à la fois dans votre récit et dans votre postface : le pire qualificatif que l’on puisse coller à quelqu’un est «inintéressant». Vous vous êtes rendu compte à quel point cette épithète est cruelle quand quelqu’un l’a utilisée pour décrire Peggy?
C’est affreux! Quand quelqu’un dit «cette personne est inintéressante», elle n’existe pas, elle n’a même pas droit de cité, en fait. Je trouve que c’est une disqualification, une sorte d’assassinat moral. C’est très méchant. J’ai interviewé plein de gens et quelqu’un m’a dit ça de Peggy… En même temps, tant mieux, ce n’est pas une hagiographie, je n’en fais pas une sainte, c’est vraiment un être de chair, ça reste une femme, et elle est inégale.

«Je pense que c’est difficile, vraiment, de ne pas s’intéresser à la mode. Mais si  Peggy Roche avait été mécanicienne, je me serais passionnée pour la mécanique automobile pendant trois ans! En fait, ce qui m’intéresse, c’est l’histoire d’amour cachée, entre deux femmes. Et puis, j’aime Sagan. Et cette époque»

Marie-Ève Lacasse Couverture
Peggy dans les phares

Aux Éditions Flammarion Québec

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