La magie des lieux de l’ONF
Pour une dernière fois, le public est invité à visiter les mythiques bureaux de l’Office national du film (ONF) dimanche, dans le cadre des Journées de la culture. Une occasion de pénétrer dans l’incubateur du cinéma canadien avant son déménagement dans le Quartier des spectacles, mais aussi d’entrevoir l’avenir de l’organisme fédéral.
Vaste complexe installé sur les bords de l’autoroute 40, dans l’arrondissement de Saint-Laurent, le 3155, chemin de la Côte-de-Liesse ne paie pas de mine à première vue. La façade du bâtiment principal évoque les beaux jours du fonctionnalisme est-allemand, alors qu’à l’intérieur, ses vastes couloirs rappellent un hôpital ou, au mieux, une polyvalente défraîchie.
«On a l’air d’être en Roumanie dans les années 1950! C’est drabe», lance le réalisateur Luc Bourdon, qui a écumé pendant de longues heures les archives de l’ONF pour ses deux derniers longs métrages, La mémoire des anges et La part du diable.
Et pourtant! C’est entre ces murs que se sont écrites certaines des plus belles pages de l’histoire du cinéma canadien.
Lors de son inauguration, en 1956, cette véritable cité du cinéma abritait les plus vastes studios à l’extérieur de Hollywood. Le siège social de l’ONF permettait, et permet encore aujourd’hui de réaliser un film de A à Z, de la conception à la post-production.
C’est là que les Michel Brault, Gilles Groulx, Denys Arcand ou Gilles Carle ont inventé le cinéma direct et ont jeté les bases de la cinématographie québécoise, au début des années 1960.
Les Denis Villeneuve, Philippe Falardeau, Guy Maddin, Sarah Polley ou Atom Egoyan y ont également fait leurs premières armes, et des technologies, comme IMAX ou les balbutiements de l’animation 3D, ont été élaborées entre les murs de briques brunes du chemin de la Côte-de-Liesse.
«On a beau dire qu’on est sur le bord de l’autoroute, entre deux concessionnaires automobiles, que ça fait très “bloc de l’Est”, que c’est beige, il y a une âme ici. Et c’est les gens qui travaillent à l’ONF qui la portent», assure Michèle Bélanger, directrice exécutive du programme français.
«C’est un drôle d’édifice, une drôle d’ambiance, mais on l’aime!» ajoute Michelle Van Beusekom, qui, elle, dirige le programme anglais de l’ONF.
Près de 80 œuvres sortent des studios de l’ONF chaque année : des films documentaires, d’animation et, de plus en plus, des œuvres interactives exploitant les possibilités du numérique, comme la réalité virtuelle.
Lors de notre passage, les créateurs étaient encore nombreux à s’activer, dans les studios d’animations comme dans les salles de montage ou de mixage.
L’édifice accueille aussi les archives de l’ONF: 280 000 éléments stockés dans des voûtes réfrigérées, 600 000 photos et quelques-uns des 12 Oscars remportés par l’institution au fil du temps.
Les vastes proportions de l’endroit (les employés ont donné des noms de rue à certains corridors pour aider les visiteurs à s’orientier!) sont le témoignage d’un âge d’or où l’ONF employait de 1 500 à 2 000 personnes à Montréal seulement. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 250 et le déménagement en plein cœur du centre-ville, plus près des créateurs et du public, est le bienvenu.
«Je connais pas mal de monde qui a passé sa vie ici et qui va voir les lumières s’éteindre avec beaucoup de nostalgie. Des hommes et des femmes d’exception sont passés entre ces murs et des œuvres marquantes y sont nées. Mais on est tous contents d’aller au centre-ville, d’être ancrer au cœur de la création et du public», assure Claude Joli-Cœur, président de l’ONF.
«Je suis persuadé qu’on va pouvoir recréer au centre-ville la même magie qui existe entre les murs de cet édifice.» – Claude Joli-Coeur, président de l’ONF
D’autant plus que l’ONF ne défera pas ses boîtes n’importe où. L’organisme installera ses pénates dans 6 des 13 étages du 1500, rue Balmoral, un tout nouveau bâtiment de verre qui donnera sur la très achalandée place des Festivals.
L’inauguration de l’édifice, qui sera coiffé du fameux logo de l’ONF, est prévue pour l’automne 2019.
«Le nouvel emplacement permettra plus d’interactions, estime Michelle Van Beusekom. Ici, c’est très boxy. Les bureaux fermés ne laissent pas vraiment de place à l’échange spontané entre les créateurs.»
«Dans le nouvel immeuble, la géographie des lieux et l’architecture vont permettre plus d’échanges entre les différentes communautés : les animateurs et les documentaristes, les gens de la réalité virtuelle, etc. Ce sera un plus pour la création et l’hybridité si ces gens se rencontrent plus souvent. En ce moment, ça se passe à la cafétéria, mais ce n’est pas vraiment le meilleur endroit.»
Un plus aussi pour les Montréalais et les touristes, qui pourront accéder gratuitement à un espace public au rez-de-chaussée et voir certains artisans à l’œuvre.
«Les gens vont pouvoir voir tout ce qu’on fait ici et qu’on ne publicise pas, parce que de toute façon, personne ne passe par Côte-de-Liesse par hasard. C’est comme ouvrir le capot de la voiture», illustre Michèle Bélanger.
Un moyen aussi de (re)connecter avec le public?
«Même si on a une présence en ligne forte et une grande fréquentation de nos sites web [où on peut visionner plus de 3 000 œuvres], c’est vrai que l’image de l’ONF est demeurée, pour certains, celle d’une vieille institution, admet Claude Joli-Cœur. Le déménagement va contribuer à changer cette impression. Habituellement, quand les gens découvrent ce qu’on fait, ils deviennent des adeptes, ils en veulent plus.»
Journée portes ouvertes de l’ONF
Dimanche de 10h à 15h
3155, chemin de la Côte-de-Liesse