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L’allégorie du castor

L'artiste multidisciplinaire Émilie Monnet Photo: Josie Desmarais/Métro

En langue anishnabemowin, le mot «okinum» signifie «barrage». C’est également le nom de la première pièce solo de l’artiste pluridisciplinaire Émilie Monnet.

Émilie Monnet est fébrile en arrivant au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui (CTD’A), où elle présente actuellement sa pièce. C’est parce qu’elle s’apprête à voir pour la première fois la disposition de la salle où elle livrera sa performance. Au centre d’une petite pièce sombre se trouve une plateforme couverte de peaux de castor, scène du spectacle. Tout autour, six projecteurs ont été installés.

Le castor a servi à Émilie Monnet de «métaphore poétique» pour parler de colonisation et d’assimilation, explique l’artiste en résidence du CTD’A. «Parce que les castors ont pratiquement été exterminés, comme les peuples autochtones. Le commerce des fourrures a permis à la Nouvelle-France de devenir prospère. C’est aussi l’animal qui symbolise la souveraineté canadienne.»

«D’ailleurs, j’ai appris récemment qu’un terme pour désigner une prostituée au XIXe siècle en France était “femme-castor”. Et en anglais, on dit beaver pour parler du sexe féminin, poursuit-elle. Il y a comme un symbolisme qui s’est dessiné à travers tout ça.»

Tout a commencé avec un rêve récurrent, qui est venu hanter l’artiste. «Ma pratique artistique se base beaucoup sur mes rêves», dit-elle.

Dans ce songe, un castor géant rend visite à Émilie Monnet et lui parle. «J’essaie de déchiffrer ce qu’il me dit. Ça m’amène à remonter la rivière de mon ADN pour regarder toute mon identité à travers le prisme de ce rêve.»

«En me réappropriant ma langue, je m’enracine davantage dans mon identité et je comprends mieux ma place dans l’univers en tant que femme anishnabe.» – Émilie Monnet

Le barrage, ou Okinum, est aussi une analogie pour parler de la maladie qu’a vaincue l’artiste, qui la décrit comme «un barrage dans [s]a gorge».

Car Okinum est un récit très personnel. «Ça raconte ma vie, c’est une autofiction. Il y a des éléments qui ne sont pas les miens, mais ça part vraiment beaucoup de moi, donc je n’avais pas vraiment le choix que ce soit moi qui joue dedans, qui le porte complètement», dit-elle au sujet de son implication totale dans sa pièce, de l’écriture à la performance.

L’ambiance sonore occupe une place particulièrement importante dans Okinum. Par exemple, la voix d’Émilie Monnet est amplifiée et modulée tout au long du spectacle. «J’aime créer des environnements immersifs», résume-t-elle.

Pour ce faire, l’artiste a enregistré des bruits de castors, notamment au zoo sauvage de Saint-Félicien ainsi que dans des sanctuaires à New York. «J’aime beaucoup faire des enregistrements sonores. J’enregistre des conversations, des entrevues, j’aime beaucoup inclure ça dans mon travail.»

Le son de la langue de ses ancêtres, l’anishnabemowin (la langue algonquine) est également très présent dans Okinum, bien que le spectacle soit essentiellement en français, avec deux scènes en anglais.

«La pièce parle de mon cheminement d’apprentissage de la langue. C’était important pour moi; c’est une langue qui n’est pratiquement pas audible ici. Les politiques d’assimilation ont très bien fonctionné. Avec mes projets artistiques, je veux me réapproprier cette langue qui ne m’a pas été transmise. Ça fait partie de mon engagement.»

Les œuvres d’Émilie Monnet s’inscrivent en effet dans une démarche sociale. L’artiste voit l’art comme un cata­lyseur, «un moyen de contribuer à la transformation sociale, particulièrement par rapport aux réalités autochtones».

L’artiste, qui a grandi entre l’Outaouais et la Bretagne, en France, se définit comme une «autochtone urbaine», puisqu’elle vit à Montréal depuis 11 ans. Avec Okinum, elle souhaite que son histoire résonne auprès du public. «J’espère que les gens vont la recevoir comme une expérience authentique et sincère.»

L’art autochtone est-il source de réconciliation? «Je pense qu’on a d’abord besoin d’une conciliation avant une réconciliation, illustre-t-elle. Il s’agit plus d’un processus pour nous réapproprier nos cultures, nos langues et nos traditions.»

Faisant écho au discours de remerciement de Jeremy Dutcher au prix Polaris, qui a déclaré que le Canada est «au coeur d’une renaissance autochtone», Émilie Monnet estime qu’il y a une mouvance chez les artistes des communautés autochtones du Canada.

«On sent que quelque chose est en train de se passer et c’est excitant d’en faire partie.»

Cette reconnaissance s’explique, selon elle, par le fait que «ces artistes ont choses à dire et à exprimer qui intéressent les gens, au-delà du fait qu’ils sont autochtones».
À cet égard, elle estime qu’il est crucial que les institutions culturelles ouvrent leurs portes aux artistes autochtones, comme le CTD’A et d’autres l’ont fait pour elle. «En général, le public est au rendez-vous, donc il y a un intérêt. Mais il faut d’abord créer des espaces pour que le travail puisse être diffusé».

Okinum est présenté jusqu’au 20 octobre au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui.

Les leçons de Kanata

Émilie Monnet est une des artistes à avoir pris part à la rencontre avec Robert Lepage et Ariane Mnouchkine au sujet de l’absence de collaborateurs autochtones dans la pièce Kanata, qui traite de la relation historique entre les Blancs et les Autochtones.

La poussière étant retombée, l’artiste estime que cette controverse lui a permis de s’«enraciner davantage dans sa propre voix». «J’ai envie de porter une voix authentique, et pour cette raison, je ne me verrais pas faire un spectacle sur la guerre civile en Syrie sans collaborer avec des Syriens. Tout simplement», illustre-t-elle.

Selon elle, l’absence de collaborateur autochtone risque de transmettre à nouveau un point de vue colonisateur de l’histoire du Canada. «Si aucun collaborateur autochtone n’est là pour raconter la genèse, si on montre l’histoire seulement du point de vue du conquérant, on court le risque de perpétuer le même discours.»

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