Soutenez

SOMM360: Message dans une bouteille

Photo: Collaboration spéciale

«Je peux boire une bouteille tout seul. Mais je préfère en boire deux en bonne compagnie.» Dans le cadre de la conférence SOMM360, qui rassemblera des pros de l’industrie du vin venus du monde entier à Montréal, le Master Sommelier Morgan Harris aura l’occasion de déguster plus d’un verre dans une atmosphère de partage.

L’histoire de Morgan Harris, celle de sa passion pour le vin, commence par un souvenir. Celui d’avoir 10 ans, et de regarder toutes ces bouteilles d’adultes en se demandant (voix de p’tit gars): «Mais à quoi tout cela peut-il bien servir?»

L’histoire de Morgan se poursuit par un désir de devenir acteur, par un cumul de petits rôles et de trop-plein d’auditions, par des emplois dans la restauration dans son New York d’adoption, par la piqûre.

Au point où nous sommes rendus dans l’histoire, Morgan, lui, est rendu Master Sommelier. Il fait partie des 24 personnes dans le monde entier à avoir obtenu, cette année, cette distinction hyperconvoitée. Et il est le seul de ces 24 qui n’aura pas à repasser, pour une seconde fois dans quelques mois, la redoutable portion de la «dégustation à l’aveugle».

En effet, un scandale de triche a poussé The Court of Master Sommeliers (c’est le nom de l’organisation) à annuler en octobre dernier les résultats de cette partie de l’examen. Un juge aurait, apparemment, «filé les réponses à un candidat qui ne lui aurait jamais rien demandé».

Morgan, qui avait passé ce challenge plus tôt dans l’année, est sauf. Plusieurs de ses amis n’ont pas eu la même chance. Leur titre a été révoqué. Pour beaucoup, c’est comme si leur monde s’était écroulé.

Car il s’agit d’une épreuve titanesque. Six échantillons de vin, trois blancs, trois rouges. Vingt-cinq minutes au compteur pour deviner, à l’aveugle, le cépage, le pays d’origine, la région, l’appellation et le millésime des six liquides dans les verres. Autrement dit: la torture. Morgan en sait quelque chose : «J’ai échoué cette épreuve quatre fois avant de la passer enfin».

Armé de son titre, ce natif de Seattle est dernièrement passé, quant à lui, de la Grosse Pomme à San Francisco. «L’autre pôle de la gastronomie américaine.» Là où son rythme de vie est un peu, juste un peu, moins fou que lors de ses années new-yorkaises.

Les lecteurs ont d’ailleurs pu avoir un aperçu de ces folles années dans Cork Dork. Un livre paru l’an dernier aux éditions Penguin, signé par la jeune journaliste Bianca Bosker, dans lequel cette néophyte du vin racontait sa plongée dans le monde des sommeliers. De ces «geeks du bouchon», comme elle les a surnommés.

Avec sa connaissance encyclopédique, son charisme en service, ses longs monologues enflammés, Morgan Harris faisait office d’étoile dans son récit.

Et ce sont ces mêmes qualités qu’il a mises de l’avant dans la téléréalité Uncorked, diffusée sur le réseau Esquire en 2015. On lui trouvait l’air passionné. Il s’est trouvé l’air «un peu idiot».

Il y a quelques jours encore, un client du resto où il travaille, le Angler, à San Francisco, l’a apostrophé : «J’ai vraiment aimé suivre votre périple au petit écran!» «Tant mieux, lui a répondu Morgan. Beaucoup de gens n’ont pas été de votre avis.» La série n’a pas été reconduite pour une deuxième saison.

Renaissance
Le monde de la sommellerie, par contre, connaît une saison, ou plutôt une époque, de renaissance. Dans la dernière décennie, qui coïncide avec celle de son entrée dans le métier, Morgan Harris dit que des tonnes de choses ont changé. «Déjà, s’esclaffe-t-il, les clients savent à quoi je sers quand je me pointe à leur table.»

Il explique ce fait par une combinaison de facteurs. Notamment par la sortie, en 2012, du documentaire SOMM, suivi en 2015 de SOMM: Into the Bottle, qui a «donné aux gens une vague idée de mon boulot».

Mais ce que ces films réalisés par Jason Wise et disponibles sur l’éternel Netflix n’ont peut-être pas présenté, s’empresse-t-il d’ajouter, c’est «le manque total de glamour du quotidien d’un sommelier».

Il donne pour exemple (il en donne beaucoup) son horaire de la journée. «Aujourd’hui, je vais devoir me taper cinq heures de tâches administratives – répondre à des courriels, discuter avec des distributeurs – pour pouvoir faire six heures de service.» En perspective, c’est peu. Et ce n’est pas montré à l’écran.

Il faut préciser ici que la décision de Morgan de se lancer dans l’industrie n’a rien à voir avec les documentaires susmentionnés. «J’avais 22 ans en 2008, quand la crise a frappé», se souvient-il. Au-delà de la passion, son choix de métier dans des États-Unis plongés dans le marasme économique avait donc aussi des raisons purement pratiques. Pour servir du vin, «pas besoin d’un diplôme universitaire pour lequel on aura déboursé des montagnes de milliers de dollars».

Besoin par contre de lectures, de savoir et de dur labeur. Morgan cite à ce sujet l’un de ses mentors, John Ragan, qui bosse pour le monument de la restauration Danny Meyer: «Les sommeliers font ça sur le plancher!»

Car oui, c’est là où le travail se fait : dans un resto. Et, ajoute-t-il, le but de ce travail ne diffère en rien de celui d’un plongeur ou d’un commis-suiteur. Ce but, c’est de s’assurer que les clients aient la plus belle des expériences possible. Point.

Autre point soulevé par Morgan: si certains perçoivent le sommelier comme étant une sorte de sorcier du cépage prêt à disséminer son savoir, ce n’est qu’un infime pourcentage des clients qui veulent entendre parler de l’incidence des sols argilo-calcaires et de l’élevage en fûts de chêne hongrois sur le vin.

«Il ne faut jamais perdre de vue que le prix moyen d’une bouteille vendue aux États-Unis est de 10$. C’est le genre de boisson qu’une majorité de gens consomment. Et il faut en tenir compte.»

Ainsi, même s’il croit que «oh, madame, vous devriez prendre le Chablis avec votre poisson», si madame décide de boire du rouge, «ce n’est pas à moi de la juger, mais bien de lui apporter».

Dans le même ordre d’idées, même s’il a diablement envie de dire à un client qui cherche son approbation que, «personnellement, boire du Cabernet Sauvignon de Napa Valley en mangeant des huîtres de la Nouvelle-Écosse» lui évoque un séjour douloureux dans le feu destructeur des enfers, son professionnalisme l’en empêche.

«Je réponds plutôt quelque chose comme: “Ohhhhhheiiiish, que diriez-vous que je vous amène une coupe de champagne à la place?”»

Il prend une pause, et laisse tomber: «Ouaip. C’est un drôle de domaine celui dans lequel je travaille.»

Drôle comme étrange, mais aussi drôle comme amusant. Surtout s’il tient compte de toutes les rencontres qu’il peut faire avec ses pairs venus du monde entier. Des rencontres comme il aura l’occasion d’en faire ici, à Mont­réal, dans le cadre de l’événement SOMM360, dont il est l’un des ambassadeurs.

Des ambassadeurs de la scène québécoise, il en connaît d’ailleurs quelques-uns: Pier-Alexis Soulière, Véronique Rivest (qu’il prononce joliment Rivèsste)… Il dit que Montréal est une de ses villes préférées. Qu’échanger des connaissances fait partie de ses activités de prédilection.
En matière d’échange, il nous confie aussi qu’«Instagram est un outil génial pour découvrir ce que les autres boivent». Un peu moins génial par contre si on a le malheur de tomber sur une «parade de muscles» version sommeliers.

En effet, comme certains exhibent leurs abdos parfaitement découpés, ou leur intérieur de maison impeccablement décoré, d’autres flashent leurs grands crus bourguignons. Morgan se désole en évoquant ces photos accompagnées de mentions à la: «Yo, bro, checke ce que j’ai bu pis pas toi. C’était bon.» «No shit, gars. C’est une bouteille qui vaut 800$. J’espère que ça l’était», ironise-t-il.

Oui, ce genre de parade du palais l’agace. Il préfère discuter de ce qui se trouve dans la fameuse bouteille. Ce qui se traduit dans le verre. «Donner du contexte.» Partager le mystère du vin.

«Certaines personnes en position de pouvoir tentent de nous faire croire que l’inconnu doit inspirer la peur. Le vin, lui, nous rappelle que nous avons besoin des autres pour vivre sur cette planète. Tout comme nous avons besoin d’une planète tout court.» – Morgan Harris

Mais après toutes ces années à bosser dans le métier, à un moment, ce mystère doit s’estomper un peu, non? Quand on comprend, quand on apprend, quand on sait?

Le sommelier insiste: ce n’est peut-être plus le MÊME mystère. Mais ça ne cesse pas d’en être un pour autant. «Je trouve ça fou qu’on ait envoyé des gens marcher sur la Lune ou explorer les tréfonds de Marianas Trench (on précise: pas le band canadien, mais bien la fosse océanique) et que, néanmoins, quelque chose dans la façon dont la fermentation fonctionne nous échappe encore.»

Et puis, en ces temps de division où l’hospitalité, la générosité et l’ouverture à l’autre sont plus souvent qu’autrement mises de côté, en ces temps de climat politique plutôt moche dans son pays, Morgan Harris affirme que «travailler dans une industrie qui vise à prendre soin des gens, axée sur le partage, semble plus important que jamais». «Servir du vin, ce n’est peut-être pas faire du travail humanitaire ou de l’activisme politique. Mais je crois sincèrement qu’il y a quelque chose dans ce breuvage qui permet de changer la perception que nous avons de notre place dans l’univers.»

Il s’interrompt, plonge dans ses pensées, puis reprend: «Bon, d’accord, on peut simplement voir le vin comme étant de l’alcool dans un verre. Mais je n’ai clairement pas choisi de faire partie de cette industrie juste pour “de l’alcool dans un verre”.»

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.