Boygenius: les génies et les risques
Les chansons intensément délicates de Julien Baker imposent le silence. Et alors que ses morceaux sont assez simples côté production, leur puissance émotive en est encore plus bouleversante.
Comme Phoebe Bridgers et Lucy Dacus, la jeune musicienne est une artiste à surveiller. Si les fans étaient excités d’apprendre que les trois musiciennes partaient en tournée ensemble à l’automne, la sortie d’un tout nouveau microalbum (EP) composé de six collaborations entre les jeunes femmes les a époustouflés.
Ce projet, c’est boygenius, un trio rock-folk qui illumine les forces de chacune sans rien enlever à l’esthétique et au caractère de leur collaboration.
Métro a discuté avec Julien Baker du processus d’écriture à trois et de l’aspect libérateur du travail en groupe.
Quand avez-vous décidé de produire boygenius?
On partait en tournée ensemble de toute manière… et quand on s’en parlait, on s’est dit que ce serait très spécial de trouver un moyen de faire quelque chose en collaboration. Est-ce qu’on devrait choisir une de nos chansons, ou en écrire une nouvelle? Un single? Un single avec un «côté B»? Et avec notre excitation, on a trouvé le temps d’écrire ensemble. On s’envoyait des chansons à moitié terminées, en mémos vocaux, par exemple. Et puis la journée avant l’enregistrement en studio, on a pu s’asseoir ensemble et simplement jouer nos morceaux, parler des arrangements. Et ce processus était vraiment intuitif; on a toutes une sensibilité musicale similaire. Quand on est devenues plus à l’aise, on s’est poussées à explorer de nouvelles avenues.
«Quand tu es assez à l’aise pour prendre des risques, c’est là que tu crées le meilleur de ton art.» –Julien Baker, musicienne
Votre propre musique est assez minimale; ce n’est que vous et votre guitare. Mais l’album boygenius est surtout composé de morceaux full-band. Est-ce qu’il s’agit d’un changement que vous voulez garder?
Je savais bien avant boygenius que je voulais changer mon son pour mon prochain album. Mais ce changement, ce n’est pas juste moi. Le projet a tout autant été influencé par Phoebe et Lucy, qui jouent normalement avec un batteur. Et puis il y a des morceaux très simples sur l’EP, où ce ne sont que nos trois voix et nos guitares.
J’aime ce contraste, parce que ça en dit long sur notre capacité à travailler dans différents environnements musicaux. J’ai pu jouer des styles de guitare que je n’avais pas joués depuis longtemps. C’était intéressant et vraiment gratifiant de pouvoir faire tout ça. Et je pense que travailler en groupe, détacher mon nom du projet, m’a donné une grande liberté créative. Parce que les enjeux ne m’étaient pas attachés.
C’est libérateur de renoncer au contrôle. Mes idées – comme celles de Lucy et de Phoebe – ont été pasteurisées dans le processus d’écriture collaboratif. Et ce qui en ressort n’est pas quelque chose qui m’appartient totalement. C’est correct, parce qu’au lieu de devoir encaisser tout le stress et les responsabilités toute seule, c’est partagé. Ça nous pousse à prendre plus de risques, à expérimenter.
Beaucoup de médias vous qualifient de supergroupe. Qu’en pensez-vous?
Quand je pense à un supergroupe, je pense à Lo Tom, à Minor Victories… Audioslave était un supergroupe quand c’était Chris Cornell et les membres de Rage [Against the Machine]. Pour moi, c’est incroyable! Quand vous me dites «supergroupe», je pense à un rockeur avec un pied sur le moniteur. Et c’est comme ça que je me sentais quand on a écrit Salt in The Wound. Cette chanson, elle «rocke»! Le mix est très bas, mais j’ai l’occasion d’y jouer un solo de guitare génial. Je n’avais pas joué comme ça depuis longtemps. Ça sonne «rock», avec un R majuscule.
Les styles de musique de Phoebe et Lucy jouent avec les traditions. Elles les transforment, les tournent à l’envers. Alors on travaillait quand même avec les paramètres qu’on reconnaît du folk, d’une ballade, du rock, mais les perspectives des filles ajoutaient quelque chose d’intéressant, d’unique et de vraiment réaliste aux morceaux. Et c’est excitant, parce que ça veut dire qu’en 2018, on peut encore faire du rock qui ne sonne pas comme les mêmes trucs surutilisés.