Grâce à Dieu: la divine loi du silence
Alors qu’on a voulu lui imposer le silence, François Ozon brise le mutisme et libère plutôt la parole avec Grâce à Dieu.
En développant une fiction inspirée de faits réels entourant les accusations de pédophilie contre un prêtre, François Ozon ne pensait pas l’avoir facile. Mais de là à voir son nouveau film passé à un cheveu d’être tabletté en attendant les conclusions juridiques?
«C’était une forme de censure déguisée, indique-t-il lors de son passage à Montréal. Les procès devaient avoir lieu en 2018, mais ils ont été repoussés. On ne sait toujours pas quand ils vont se tenir… La justice a tranché en disant que la liberté d’expression était un principe fondamental et que ce film pouvait être d’utilité publique.»
«Heureusement, on était en France. Dans un autre pays, peut-être que le film ne serait pas sorti.»
«Je me suis rendu compte très vite que si je n’avais pas été un cinéaste connu, que j’avais été un jeune réalisateur qui fait son premier film avec un tel scénario, je n’aurais jamais réussi à monter ce film.» –François Ozon, qui signe avec Grâce à Dieu son 18e long métrage.
Avec un sujet aussi délicat, le réalisateur a évidemment eu de la difficulté à trouver de l’argent pour le financer.
«Ce n’est pas un sujet bankable, résume-t-il en riant. Quand vous amenez à vos producteurs un film sur la pédophilie dans l’Église, ils ne vous accueillent pas comme si c’était la prochaine comédie française à succès!»
Mais il a persisté, contre vents et marées, encouragé par ses acteurs (Melvil Poupaud, Denis Ménochet, Swann Arlaud) qui se sont investis dans ce projet qui leur tenait à cœur.
Afin de ne pas attirer l’attention, l’essai a été tourné dans le plus grand secret.
«On n’a pas menti, mais on n’a pas tout révélé, se remémore le metteur en scène. On a dit que c’est l’histoire d’hommes dans la quarantaine qui font le bilan de leur vie. Ce n’est pas faux.»
«C’était surtout pour ne pas être importuné pendant le tournage, ne pas avoir de pression et être complètement libre pour raconter ce que j’avais à faire.»
Une liberté chèrement acquise, vu le destin du long métrage, qui fait pourtant œuvre utile.
«Ce film a une portée citoyenne, affirme son créateur. La communauté catholique, en France, s’en est emparée. Il y a beaucoup d’évêques qui organisent des projections et des débats avec des fidèles pour discuter, pour réfléchir à l’avenir de l’église… Cinq nouvelles victimes de ce prêtre se sont d’ailleurs déclarées.»
«Quand on a été abusé, on pense toujours qu’on est seul, rappelle le cinéaste. Quand, tout d’un coup, on se rend compte qu’on est plusieurs, on peut unir nos forces. Ça amène d’autres personnes à pouvoir témoigner. Le film rassure les gens qui n’ont pas encore parlé, il les amène à oser libérer leur parole, même si c’est violent et toujours un peu dangereux.»