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François Samson-Dunlop: L’art de s’affranchir des paradis fiscaux

François Samson-Dunlop Photo: Josie Desmarais/Métro

Un bon matin, n’en pouvant plus de l’inaction des gouvernements face aux incessantes révélations sur l’évasion fiscale dans les médias, un jeune homme se dit «Ça suffit! Chu tanné là» et entreprend de boycotter toute entreprise au comportement suspect. Sa quête est racontée par le bédéiste François Samson-Dunlop dans Comment les paradis fiscaux ont ruiné mon petit-déjeuner.

Les paradis fiscaux ont ruiné non seulement le repas du matin – le plus important de la journée, dit-on –, mais aussi pratiquement tous les éléments du quotidien de ce sympathique protagoniste aux nobles intentions.

Bien vite, celui-ci prend la mesure des obstacles qui se dressent devant lui. Regarder un film d’auteur? Financé par Amazon. Manger du yogourt? Propriété d’un conglomérat enregistré au Luxembourg. Regarder le dernier match du Canadien? L’entreprise derrière l’équipe aurait une fiducie aux Bermudes.

Et c’est sans compter les innombrables adieux qu’il doit faire à ses biens matériels devenus indispensables, notamment son téléphone intelligent et sa paire de Converse.

Même qu’il devra faire une croix sur l’œuvre de divers artistes, de Madonna à INXS, en passant par Julien Clerc, tous cités dans les Paradise Papers.

«Comment veux-tu t’abstraire d’un système qui est partout­? lance François Samson-Dunlop en entrevue. Au début, mon personnage a une prise de conscience individuelle, il fait ses trucs de son côté, mais il y a une limite à ça, et il y arrive rapidement.»

Sans cesse refroidi dans ses démarches, notamment par les judicieux conseils de sa copine, véritable conscience du protagoniste, ce dernier comprend que son action devra être portée plus loin.

«Tout seul, on n’arrive à rien, clame le bédéiste, qui ne cache pas son militantisme. Je n’aime pas l’image du colibri qui tente seul dans son coin d’arroser un incendie. Ce n’est pas bon, parce que la maison continue de brûler. Il faut travailler ensemble.»

C’est ce que comprend son personnage, notamment en s’abreuvant aux paroles du philosophe et spécialiste des paradis fiscaux Alain Deneault, devenu pour les besoins de la cause personnage de bande dessinée.

Pour s’attaquer à ce sujet délicat et complexe, François Samson-Dunlop s’est plongé dans les ouvrages de cet intellectuel, qu’il admire autant qu’une rock star.

«C’est une tragi-comédie, les paradis fiscaux. C’est tragique, mais le système est tellement absurde que c’est facile de faire de l’humour avec ça, même trop facile.» –François Samson-Dunlop, bédéiste

Tout comme son personnage est hanté par sa quête, le bédéiste l’est devenu en lisant les travaux d’Alain Deneault. «Avec ce livre, ce que je veux, c’est amener les gens vers son travail», dit-il.

Sa BD, hyper documentée, est un bon premier pas pour se familiariser avec ce sujet qui peut sembler a priori intimidant. «Alain Deneault écrit super bien, mais c’est vrai que ses livres de 450 pages peuvent faire un peu peur», admet l’auteur, qui a signé ces dernières années avec Alexandre Fontaine Rousseau les romans graphiques Pinkerton et Poulet grain-grain.

Avec la même verve autodérisoire et ludique (on ne se tanne pas des blagues sur U2), Comment les paradis fiscaux ont ruiné mon petit-déjeuner rend compte de l’ampleur du phénomène.

Car la quantité d’argent qui est détournée vers des comptes offshore, notamment par des entreprises multinationales, est phénoménale. Selon le FMI, 50 % des transactions financières transitent par des paradis fiscaux.

Ainsi, François Samson-Dunlop­ serait déçu si les lecteurs­ s’arrêtaient à son bouquin. C’est pourquoi il lance un appel à la révolte. Une révolte qui, à l’image de sa bande dessinée­, se ferait dans la joie.

En guise d’exemple, il cite les manifestations de casseroles lors de la grève étudiante de 2012. «On était en colère, mais c’était drôle, avance-t-il. On peut toujours faire pression de façon originale. On l’a fait pour l’éducation en 2012, pourquoi ne pas le faire pour une question qui touche absolument tout le monde, tous les jours?»

Les sommes importantes que pourraient récupérer les gouvernements dans les paradis fiscaux pourraient être investies dans les services publics, comme la santé, le transport et l’éducation, rappelle-t-il.

Tout comme Alain Deneault, qui signe la postface de sa BD, François Samson-Dunlop­ estime qu’il ne faut pas attendre une solution mondiale même si le problème l’est. «Si on a créé ce système, on a le pouvoir de le changer», dit-il.

Si des groupes citoyens et des activistes de New York ont récemment réussi à changer les plans du géant Amazon, qui prévoyait installer son nouveau siège social dans la Grosse Pomme en échange de généreux­ avantages fiscaux, pourquoi les Canadiens ne convaincraient-ils pas le gouvernement fédéral d’instaurer une taxe à Netflix? «Une élection s’en vient, c’est le temps de faire pression», soutient l’auteur.

À l’écouter parler, il est difficile de croire que François Samson-Dunlop se sentait «un peu déprimé» face à l’ampleur du problème avant de s’y attarder pour son livre. «En travaillant là-dessus, je me suis rendu compte qu’il y a plein de gens qui font plein de trucs», dit-il emballé, citant le collectif Échec aux paradis fiscaux et les actions menées par Attac.

Passionné par cet enjeu, il recommande les ouvrages d’Alain Denault, bien sûr, mais aussi ceux de Brigitte Alepin et Denis Robert. Et il attend avec impatience la sortie, prévue cette année, de The Laundromat­ de Steven Soderbergh, sur le scandale des Panama Papers. Ironiquement, le film sera diffusé­ sur Netflix.

La BD Comment les paradis fiscaux ont ruiné mon petit-déjeuner, publié chez ÉcoSociété, est disponible en librairie.

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