Dramatik: «J’ai réussi à dompter la bête en moi»
«Il y a des rappeurs qui se complaisent dans un slang que juste eux peuvent comprendre. Moi, c’est l’inverse, je veux me faire comprendre du plus grand nombre.» Dramatik peut dire mission accomplie avec son troisième album solo, un message reçu 5 sur 5.
«C’est peut-être parce que, comme je suis bègue, j’essaie de me faire comprendre depuis que je suis petit», raconte Jocelyn Bruno, avant d’éclater d’un rire tonitruant.
Attablé devant un café par une belle journée ensoleillée, le membre du groupe culte Muzion, pionnier du rap québécois, raconte avec passion la naissance de son nouveau bébé, Le phénix, il était plusieurs fois.
Un album rempli de petites et de grandes tragédies, mais qui, comme son créateur, est rayonnant, avec ses influences reggae, soul, jazz et même gospel.
«L’album est traversé par une vibe soul. C’est parfois teinté de mélancolie, mais la lumière revient toujours, comme aujourd’hui», illustre avec philosophie le sympathique rappeur de 44 ans.
Dramatik ne le cache pas, il a souvent galéré dans la vie, à commencer par sa jeunesse marquée par la violence et la pauvreté. On ne choisit pas ce nom de scène pour rien…
Des heures sombres que la musique lui permet d’évacuer. Aujourd’hui père et ayant sa carrière musicale bien en main (une carrière, qui mine de rien, s’étale maintenant sur trois décennies), l’artiste d’origine haïtienne semblée avoir trouvé son équilibre.
«C’est dangereux que le rap perde sa fibre de revendication. Parce que c’est de là qu’il vient.» Dramatik. Bien qu’il se réjouisse des succès actuels de la scène rap québécoise, le vétéran déplore la disparition d’un style plus revendicateur. «Les systèmes d’alarme sont sur mute!»
«Je suis à une étape de ma vie où je me sens mieux. Un moment donné, les problèmes se ressemblent, alors tu t’équipes pour les affronter. Les premières minutes dans une montagne russe, c’est l’enfer. Tu veux débarquer. Puis, tu t’habitues. La vie, c’est pareil. L’humain s’adapte à tout.»
«J’ai vécu des drames plus jeune, mais j’ai réussi à dompter la bête en moi. Je ne dis pas que c’est gagné, il suffit d’un choc et je balance vers le côté sombre. Mais cet album, c’est celui d’un homme qui renaît de ses cendres.»
Un phénix, donc, qui n’oublie certainement pas d’où il vient et les épreuves qu’il a traversées, comme celle de son parcours avec la DPJ, dont il s’est servi pour écrire la vibrante Épicentre jeunesse, pièce très forte où les chœurs sont assurés par nul autre que Dan Bigras.
«J’ai été en foyer jeunesse trois fois. Ma première école, c’était dans un hôpital psychiatrique, raconte sans brocher Dramatik. J’étais incompris parce que je bégayais, on croyait que j’étais autiste. Puis, j’ai été placé dans un centre parce que j’avais des troubles de comportement. J’ai connu le système depuis ma naissance. J’y ai grandi, j’y ai trouvé un chemin.»
«Pour cette chanson, je me suis inspiré de ce passé, mais j’ai aussi fait plusieurs visites dans les centres jeunesse de Laval et de Rivière-des-Prairies. J’ai vu comment les jeunes vivent derrière les portes barrées. Ce sont des jeunes qui vivent en prison.»
«Épicentre, c’est pour brasser les choses un peu. Il y a eu un drame avec la DPJ récemment, mais ce drame se répète depuis longtemps. Je ne blâme pas la DPJ uniquement, tout le monde est coupable.»
Rap conscient
Dramatik pratique ce qu’il appelle du «rap de conscience». Un style qu’il partage avec Webster et Manu Militari, notamment, mais qui paraît en marge de la scène québécoise actuelle.
«Loud est au Centre Bell, Fouki est partout (notamment sur la pièce #Savage avec Loussa), Lost remplit ses salles avec sa gang. C’est une très belle époque pour le rap, concède Dramatik. La seule chose qui manque, c’est le rap de conscience. C’est là qu’il faut renouveler l’offre, le rendre plus le fun peut-être.»
«Ce sont souvent les mêmes propos, ça fait presque documentaire. À force de taper sur le même clou, ça devient une musique, puis un bruit de fond. Il faut intégrer à ça de la musique, des couleurs et de la danse pour le rendre plus festif.»
Une formule qu’il applique à merveille sur ce nouvel album, qui est aussi porté par la voix de la choriste guadeloupéenne Malika Tirolien. Parfois reggae (Révolte, propulsé par les rythmes de Dan Fiyah Beats), parfois pop (Debout, où Disoul, membre émérite de Dubmatique vient faire son tour), l’album rappelle par son éclectisme les Carnival d’un autre artiste haïtien, Wyclef Jean.
«Je suis imprévisible. J’ai plein d’idées, je suis trop ouvert. J’aime beaucoup le jazz, la bossa-nova aussi. Même le country, soutient Dramatik en parlant de son univers musical. Un sculpteur a déjà dit que l’art se doit d’être exagéré. On peut s’écarter du réalisme, déformer un peu ce qu’il y a devant nous pour le sublimer. C’est pour ça que chaque pièce de l’album a une âme.»
Pour boucler la boucle, Dramatik a convié ses comparses de Muzion J-Kyll et Imposs sur Shadow, pièce inspirée des rythmes de Michael Jackson. C’était la première fois depuis le début des années 2000 que le trio travaillait ensemble sur une chanson.
«Le fait qu’ils soient sur l’album, c’est peut-être la bougie d’allumage [pour d’autres projets]. En tout cas, c’est certainement un symbole, une torche qui est allumée.»
Le phénix, il était plusieurs fois
Lancement demain soir au Ministère (4521, boulevard Saint-Laurent)
Dramatik sera aux Francos le 20 juin à 23 h sur la scène Desjardins