Marianne Ihlen & Leonard Cohen: des mots qui résonnent
Qui n’a pas versé une larme (ou deux, ou dix…) en lisant la magnifique lettre d’adieu qu’a écrite Leonard Cohen à Marianne Ihlen avant sa mort? Le documentaire Marianne & Leonard: Mots d’amour, de Nick Broomfield, retrace les hauts et les bas de la relation entre l’artiste montréalais et sa muse norvégienne.
«Eh bien, Marianne, le temps est venu où nous sommes si vieux et où nos corps s’effondrent, et je pense que je vais te suivre très bientôt», avait écrit en 2016 le poète à celle qui lui a notamment inspiré les succès Bird on the Wire et So Long, Marianne, quelques jours avant son décès et à trois mois de sa propre mort.
Le cinéaste britannique Nick Broomfield, vieil ami de Marianne, a plongé dans ses souvenirs, ceux de leurs proches, ainsi que dans de précieuses archives, pour rendre compte de leur relation au fil des ans.
Ce n’est pas votre premier documentaire qui porte sur des artistes légendaires décédés. Vous avez par le passé réalisé Kurt & Courtney, Biggie & Tupac, et plus récemment Whitney: Can I Be Me. Cette fois, cependant, il y a un angle personnel, car vous connaissiez Marianne. Comment l’avez-vous rencontrée?
Quand j’avais 20 ans, je suis allé à Hydra [en Grèce] complètement par hasard et j’y ai rencontré Marianne. Je dois dire que j’en étais seulement à ma première année d’université et, comme beaucoup de jeunes dans la vingtaine, je me demandais quoi faire de ma vie. Ma rencontre avec Marianne a eu un énorme impact. Elle m’a ouvert les portes d’un monde dont je ne soupçonnais alors pas l’existence: celui des artistes, des peintres, des musiciens de partout dans le monde. Plus que ça encore, Marianne était très, très intéressée par les gens autour d’elle. Elle les encourageait à s’accomplir à leur plein potentiel. Et elle vivait vraiment dans le moment présent.
Quand elle est décédée, puis Leonard après elle, j’ai réfléchi à l’immense présence qu’elle a eue dans ma vie, mais aussi à l’influence que les deux ont eue sur moi. C’est ce qui est à la base de mon film.
Tant d’œuvres ont été consacrées à Leonard Cohen depuis son décès en novembre 2016. Qu’est-ce qui vous a motivé à apporter votre pierre à l’édifice?
Je connaissais Leonard et je sentais qu’il portait en lui l’esprit des années 1960, qui a été son époque charnière. Cette période sur l’île d’Hydra a été très décisive pour moi aussi. Donc j’ai voulu, entre autres choses, explorer ces années et qui il était.
«Ces films ne sont pas tant des biographies de musiciens que des portraits non autorisés de leur place dans le monde.» Nick Broomfield, cinéaste, à propos des documentaires qu’il a réalisés sur des célébrités.
Parlons d’Hydra, qui a pratiquement l’importance d’un personnage dans votre film. Vous y êtes retourné pour rencontrer le dernier résidant de votre communauté d’artistes. Quel est votre rapport avec cette île?
C’est une île curieusement hors du temps, car il n’y a pas de voiture. Les allées sont si étroites que seulement des mules peuvent y circuler. C’est vraiment magnifique; je veux dire, époustouflant! Le ciel est immense, les vues sont incroyables… Évidemment, ça a beaucoup changé. Pas tant l’île que sa population. À l’époque où j’y étais et à celle où Leonard y restait – il est arrivé plusieurs années avant moi –, c’était très abordable. Il y avait de nombreuses maisons abandonnées qu’on pouvait acheter pour très peu de sous. Tout a changé, c’est devenu très cher, mais c’est encore un endroit envoûtant, séduisant et charmant. Une personne dit dans le film: «Pas un jour ne passe sans que je pense à Hydra.»
Le portrait que vous faites de Leonard Cohen dans votre docu n’est pas très reluisant. Vous montrez à quel point Marianne a souffert à cause de lui. C’était important pour vous de briser cette image parfaite qu’on a tendance à se faire de lui, notamment à Montréal, où on lui voue presque un culte?
Son œuvre est très forte, mais il n’était pas un saint et il le savait. Il pouvait s’autodénigrer sérieusement par moments, il était dur envers lui-même. Il était brutalement conscient de ses défauts, ce qui, selon moi, le rendait d’autant plus fort.
Dans une des nombreuses vidéos d’archives, Marianne admet avoir songé au suicide tant elle se sentait démolie par cette relation. Étiez-vous proche d’elle à cette époque?
J’étais proche d’elle à l’époque où elle s’est séparée de Leonard, après être allée à New York pour tenter de faire fonctionner les choses. Elle souffrait beaucoup à ce moment… Mais Marianne avait une grande fierté et de la dignité. Ç’a été très dur pour elle, mais une simple connaissance n’aurait pas pu deviner sa souffrance. Je crois qu’elle ne se sentait pas à sa place dans le milieu artistique new-yorkais.
Malgré tout, le lien qui les a unis est resté fort jusqu’à la toute fin, comme en fait foi la bouleversante lettre qu’a écrite Leonard à Marianne peu de temps avant sa mort et que vous évoquez dans le film. Vous a-t-elle ému?
Bien sûr, comme elle a probablement ému tout le monde. Le poème qu’il lui a écrit est teeeellement beau, il témoigne de la profondeur de leur amour et de leur relation. Ça ramène à tous les amours qu’on a eus soi-même, ça fait réfléchir à sa propre vie. C’est la force d’un grand poète.
Dans le film, l’ex-femme de l’écrivain montréalais Irving Layton dit : «Les poètes ne font pas de grands maris.» Êtes-vous d’accord avec elle?
Et elle dit la même chose à propos des cinéastes! (Rires)