«Little Joe»: les fleurs du mal
Une fleur hors de l’ordinaire provoque bien des remous dans l’intrigante fable Little Joe de Jessica Hausner.
Jouer à Dieu n’est jamais une bonne idée. Une scientifique (Emily Beecham) l’apprend à ses dépens en créant génétiquement une nouvelle espèce de fleur dont les vertus euphorisantes changeraient le comportement des gens en les rendant heureux.
À moins que cela soit le fruit de l’imagination de cette mère monoparentale, qui ne sait pas comment affronter les métamorphoses de son fils adolescent… À mi-chemin entre le film de genre à la Invasion of the Body Snatcher et le drame familial de nature féministe se trouve ce récit singulier, qui distille un doux parfum d’étrangeté.
«C’est la condition humaine dans toute sa splendeur, alors qu’on subit les influences de la société, des règles, du politiquement correct et de je ne sais pas quelles manipulations auxquelles nous sommes exposés, explique la metteuse en scène Jessica Hausner, en entrevue. C’est la vie dans ce qu’elle a de plus normal, et que je décris sans jugement.»
C’est également l’existence dans ce qu’elle a de plus énigmatique, tant la cinéaste d’Amour fou s’amuse à déjouer les attentes du spectateur en posant des pièges parfois insaisissables, en enlevant volontairement des pièces du casse-tête.
«Il y a plus d’une façon de percevoir la vérité, rappelle la réalisatrice et scénariste autrichienne. La réalité est toujours parsemée de paradoxes et de contradictions.»
«J’ai toujours voulu faire un film comme celui-ci, où tu te poses des questions du début jusqu’à la fin, et dont tu ressors avec encore plus de points d’interrogation.» Jessica Hausner, réalisatrice de Little Joe
Cela se reflète notamment dans la performance de la Britannique Emily Beecham (aperçue dans Hail, Caesar! des frères Coen), dont la prestation a été récompensée au dernier Festival de Cannes.
«Elle est aussi ambiguë que le reste du film, et tu cherches à en savoir plus sur son compte, car elle se cache des choses», développe celle qui a tourné pour la première fois dans la langue de Shakespeare.
L’actrice semble évoluer dans un conte de fées aux couleurs vives, où les motifs floraux se heurtent à une musique parfois stridente, le tout défilant à un rythme propre au rêve. Comme si la cinéaste voulait lancer un sort aux cinéphiles pour les envoûter et les contrôler à leur insu.
«Je voulais créer un monde artificiel et abstrait qui déconstruit les archétypes et offre une autre perspective sur ce qu’on voit», évoque celle à qui l’on doit également les longs métrages Lourdes, Hotel et Lovely Rita.
L’humour ironique est plus évident que dans ses précédents films, tout comme l’influence de la peinture – son père était le célèbre peintre Rudolf Hausner – sur son esthétique.
«Enfant, on parlait toujours d’art, afin d’analyser les images et de comprendre ce qu’elles évoquent, se souvient Jessica Hausner. C’est devenu comme une seconde nature chez moi d’aller au-delà de ce qu’on voit et perçoit.»