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«Inconvenient Indian»: de nouvelles histoires à raconter

L'auteur Thomas King est notre guide tout au long du documentaire. Photo: Office national du film (ONF)

Au début de Inconvenient Indian (L’Indien malcommode en v.f.), l’auteur et narrateur Thomas King nous lance une mise en garde : «Vous devez être prudents avec les histoires que vous racontez et vous devez faire attention aux histoires qui vous sont racontées». L’histoire que raconte Michelle Latimer dans son documentaire est celle des peuples autochtones d’Amérique du Nord, entre célébration et appel à l’action.

«Je voulais que le public assiste à une célébration de nos cultures autochtones, mais aussi que le film soit un appel à l’action», détaille-t-elle en entrevue.

«Ce n’est pas assez de simplement s’assoir, lire des articles et se satisfaire d’être mieux informés sur les enjeux touchant les Autochtones, poursuit la cinéaste aux origines métisses. C’est par l’action que le changement arrive, et il y a plusieurs façons de s’activer. Le film exprime cela.»

Ce n’est pas un hasard si son documentaire doublement primé au Festival international du film de Toronto (TIFF) ainsi qu’au Festival international du film de Vancouver porte le même titre que l’ouvrage encensé paru en 2012 de l’illustre auteur canado-américain Thomas King : la documentariste s’en est librement inspirée.

«Dès le départ, je trouvais le livre très audacieux. Ça disait beaucoup de choses qui n’avaient jamais été exprimées par les mots auparavant», assure-t-elle.

En couvrant pour Viceland les manifestations de Standing Rock contre le projet d’oléoduc Dakota Access – ce qui a donné la série RISE, primée aux prix Écrans canadiens –, l’ouvrage de Thomas King a pris un nouveau sens à ses yeux.

«J’y suis restée neuf mois, raconte-t-elle. Lors de cette période, on a basculé d’un campement d’occupation à une zone de guerre. Ça m’a fait réfléchir aux idées véhiculées dans le livre, à comment elles s’appliquent dans la réalité.»

Le hasard fait parfois bien les choses : Thomas King est allé manifester à Standing Rock. La productrice Jesse Wente s’est alors chargée des présentations.

«Nous avons pris un café ensemble et il a parlé des idées qu’il aborde dans son livre, relate la cinéaste. C’était très inspirant, parce qu’il venait de publier une réédition illustrée de The Inconvenient Indian. Sa nouvelle préface relevait les responsabilités du gouvernement Trudeau envers les peuples autochtones. Je me souviens que Jesse et moi avons échangé un regard. Nous avons su qu’il fallait commencer le film là où se termine le livre.»

Inconvenient Indian, le docu, n’est pas une adaptation du livre de Thomas King, mais plutôt son prolongement, aux yeux de Michelle Latimer. «Ce qu’on voit à l’écran, ce sont l’incarnation des idées évoquées dans le livre.»

Des histoires circulaires

À l’arrière d’une voiture de taxi ou dans la pénombre d’une salle de cinéma, Thomas King est notre guide dans ce périple de 90 minutes où s’entremêlent le passé, le présent et le futur.

La trame narrative du documentaire traduit habilement cette temporalité circulaire, et non linéaire, à l’image de la plupart des récits traditionnels autochtones, explique la cinéaste qui a fait ses études à Concordia.

«Nos histoires commencent souvent par la fin. Nous marchons avec nos ancêtres tous les jours. Je ne veux pas parler au nom de tous, car je ne suis certainement pas la voix de tous les Autochtones, dit-elle en riant, mais ce rapport au temps m’habite.»

C’est pourquoi le film se conclut avec deux mots évocateurs : The Beginning. Le commencement.

Il y a une autre raison à cela, poursuit Michelle Latimer. «J’aime penser que chaque fois que nous racontons nos histoires, c’est l’occasion d’un nouveau commencement, d’une nouvelle lecture de l’histoire.»

«Nous avons toujours la possibilité de changer les choses. À chaque jour qu’on vit. À chaque respiration qu’on prend.» -Michelle Latimer

Les histoires qu’elle transmet dans Inconvenient Indian déconstruisent aussi les préjugés qui ont été véhiculés pendant des siècles au sujet des premiers peuples, que ce soit dans les livres d’école ou dans le cinéma western.

Une scène puissante du documentaire montre d’ailleurs de jeunes Autochtones assis dans une salle de cinéma. L’image à l’écran leur renvoie des clichés sur eux-mêmes. Le contraste est saisissant.

«Je voulais aussi nous conscientiser au fait qu’il n’y a pas qu’une seule histoire monolithique des peuples autochtones, ajoute la réalisatrice. Il y a plusieurs histoires et plusieurs voix.»

Ces voix sont notamment celles d’artistes, activistes et citoyens de différentes communautés au Canada, sur qui Michelle Latimer braque sa caméra. Parmi eux, le peintre Kent Monkman, la cinéaste Aletha Arnaquq-Baril et l’artiste visuelle Skawennati.

«Pendant si longtemps, les Autochtones n’ont pas eu un mot à dire sur la façon dont ils étaient représentés, parce qu’ils n’avaient pas les outils pour le faire», rappelle la Michelle Latimer, qui signe aussi la série de fiction Trickster diffusée à CBC. De plus en plus, cela est en train de changer, se réjouit-elle.

Le tragique décès de Joyce Echaquan en septembre dernier a par ailleurs ouvert bien des yeux au racisme systémique dont souffrent encore ces communautés.

Michelle Latimer croit-elle que la perception de «l’Indien malcommode» auquel faire référence le titre de son film et celui du livre de Thomas King est en train de s’amenuiser? «J’aimerais dire oui, mais je sens que dès que les peuples autochtones remettent en question la façon de faire de la majorité dominante, ça dérange», avance-t-elle.

Elle cite en exemple la colère de plusieurs citoyens lors du blocus des trains en soutien à la nation wet’suwet’en à l’hiver dernier. «Beaucoup de gens ont dit : “Oh non! Je dois faire un détour pour me rendre au bureau, c’est tellement malcommode”», déplore-t-elle.

La cinéaste rend d’ailleurs compte de plusieurs affrontements violents qui ont eu lieu entre les forces de l’ordre et des manifestants autochtones dans une scène marquante de son docu.

«Pourtant, les peuples autochtones endurent depuis des siècles des mesures malcommodes, que ce soit les traités, les réserves ou les pensionnats», déplore-t-elle au bout du fil.

Poésie visuelle

Bien que Inconvenient Indian soit un film engagé et engageant, il se démarque par la poésie de ses images, qui en disent beaucoup, même lors de longs plans méditatifs montrant des paysages, des traditions ou des artistes à l’œuvre. «L’art a un pouvoir poétique, ça parle à notre âme», estime Michelle Latimer.

Avec ce documentaire, elle espère susciter de l’empathie, une meilleure compréhension des peuples autochtones et une prise de conscience. «Mais je crois que nous avons encore beaucoup de chemin à faire avant de pouvoir se féliciter d’avoir évolué», dit-elle.

D’ailleurs, le doigt d’honneur ostentatoire sur fond rouge qui illustre l’affiche de son film – conçue par l’artiste québécois Sébastien Aubin – est pour elle un symbole de résistance.

«Je dois faire attention aux mots que j’utilise! s’exclame Michelle Latimer en riant lorsqu’on la questionne à ce sujet. Ce doigt d’honneur, c’est aussi une mise en garde : nous allons forger notre histoire à notre façon. Au final, ça représente la souveraineté : on ne veut pas avoir une place à la table, on veut fabriquer notre propre table.»


Inconvenient Indian

En ligne du 12 au 18 novembre dans le cadre des Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM)

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