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L’étincelle poétique de Benoit Pinette

Benoit Pinette Photo: Laurence Grandbois Bernard/La Peuplade

Tel le phénix qui renait de ses cendres, Benoit Pinette – mieux connu sous son nom de musicien Tire le coyote – a repris son envol après avoir ravivé les braises de son passé. Son cheminement est superbement évoqué dans son premier recueil de poésie qui prend aux tripes, La mémoire est une corde de bois d’allumage.

Le titre à lui seul a une puissante force évocatrice. «Ça synthétise bien l’idée du recueil, comme quoi il y a un risque à replonger dans la mémoire et les souvenirs, dans certaines blessures. Il y a un risque que ça flambe, que ça explose, que ça se consume», soutient l’artiste en entrevue.

Dans ses poèmes, il explore la filiation, la mémoire et la transmission de traumatismes dans l’ADN. Des terrains brûlants. «comment éteindre/ce qui brûle depuis toujours/quand nous sommes tous constitués/de tisons/qui refusent de mourir?» y écrit-il.

Comme dans ses chansons, Benoit Pinette mise sur l’émotion que suscitent ses mots (et ses maux), sans nommer directement le mal qui a consumé son passé.

«Je préfère donner assez d’indices pour permettre aux lecteurs ou aux auditeurs de s’y retrouver, tout en étant assez flou et imagé pour rester dans le ressenti. C’est mon objectif, en fait. Je préfère les tableaux impressionnistes et abstraits que ceux de paysages de Baie-Saint-Paul, mettons», lance-t-il en riant, même si «Baie-Saint-Paul, c’est beau!» ajoute-t-il.

Selon lui, l’être humain a la fâcheuse manie de vouloir donner un sens à tout, de devoir toujours comprendre. «On accepte difficilement de ne pas avoir la réponse exacte à chaque questionnement, à chaque réflexion. La poésie sert à ça, pour moi.»

L’auteur évoque ainsi dans son recueil des sentiments oppressants comme l’angoisse et la terreur. En fait foi l’extrait suivant : «tous les jours je crève/plusieurs fois/à intervalles réguliers/sur l’asphalte/ou dans un ciel éteint/placardé d’une violence obscure».

La première de trois portions de son livre est particulièrement sombre, réunissant dans son champ lexical des mots comme «ruine», «cendre», «chaos», «peur» et «hécatombe». Le tout est très personnel et Benoit Pinette n’a pas voulu se soustraire à ses émotions.

«Mon objectif était d’être le plus transparent et authentique dans tout ça, de ne pas m’empêcher d’écrire quoi que ce soit parce que ça allait faire de la peine à quelqu’un, ou parce que ça allait trop brusquer les lecteurs… Ces questions, je les ai laissées de côté pendant l’écriture pour aller le plus à fond possible dans la réflexion», détaille le poète.

«L’écriture sert à donner un sens à ce que je vis, que ce soit positif ou négatif.»
-Benoit Pinette

À mesure que la lecture avance, on voit poindre des étincelles de lumière, on reçoit de salutaires bouffées d’oxygène. «J’avais envie qu’on sente la lourdeur, l’imprévisibilité des choses. Mais c’était super important pour moi que ça se dirige vers une certaine lumière. C’est cliché, mais c’est l’objectif d’une vie. Tous les gens souhaitent être et devenir la personne la plus accomplie possible.»

Paternité

«tous les jours/depuis vous/je tue le vautour/ressuscité en mon corps pétrifié/dépose sa carcasse fumante/à l’ombre des inquiétudes», écrit-il dans la troisième partie de son recueil, dédiée à ses deux enfants, Léonard et Viviane.

Benoit Pinette aurait-il pu écrire ce livre sans être devenu père? «Non. Impossible, répond-il. Parce que je ne me serais pas posé les mêmes questions. Je pense que tout être humain est un maître dans l’art d’éviter, et ça se fait souvent inconsciemment. J’ai souvent dit en joke, et c’est un peu vrai, que le bonheur est un ramassis de mécanismes de défense», dit-il en riant.

Devenir père lui a fait revivre des pans de sa propre enfance, poursuit-il. «Les enfants deviennent un grand révélateur de notre propre personnalité, de l’adulte qu’on est devenu.»

La lumière vient aussi du fait que l’artiste a réussi à briser le sombre cycle de transmission de traumatismes dont il a hérité. Au point où son père a été le premier lecteur de son recueil.

«La dernière partie du livre est dédiée à mes enfants, mais du début à la fin du recueil, c’est un peu le parcours de mon père aussi. Aujourd’hui, il a fait un grand travail sur lui-même et il est devenu un père et un grand-père exemplaire. Je trouve que ça prend du courage pour faire ça et une grande résilience pour accepter le passé, accepter des choses qu’on ne se pardonnera jamais.»

Le pouvoir de la poésie

Pourquoi avoir choisi la littérature plutôt que la musique pour exprimer tout cela? Pour deux raisons, explique Benoit Pinette. D’abord, après avoir enchaîné la production de quatre disques et autant de tournées, il avait besoin d’une pause de Tire le coyote. «J’avais besoin de m’ennuyer de la chanson», dit-il.

Surtout, le format écrit lui a permis d’approfondir des thèmes déjà abordés en chanson, notamment sur Fifille. «La poésie est une très grande liberté, ce qui rend la chose pure à mes yeux, mais très vertigineuse aussi», mentionne-t-il.

«J’aime cette idée de puncher en très peu de mots et que ça révèle quelque chose de plus large.» -Benoit Pinette

Le passage à l’écrit de Benoit Pinette va de soi pour quiconque est familier avec les paroles de chansons de Tire le coyote, qui sont déjà très poétiques. Le chanteur a d’ailleurs pris l’habitude d’inviter des poètes à le joindre sur scène lors de ses spectacles.

Récemment, il a collaboré avec Joséphine Bacon, qu’il cite dans son recueil. L’auteur se sent particulièrement inspiré par «sa capacité de prendre des blessures anciennes et de les diriger vers une lumière, une espèce de sagesse», dit-il. Une démarche similaire à la sienne, même si la poète innue expose les souffrances d’un peuple entier.

«On parle de blessures qui se transmettent de génération en génération pour eux, et malgré ça, son regard sur l’avenir est rempli d’espoir et d’humanité. Je trouve ça vraiment, vraiment, vraiment inspirant», dit-il, admiratif.

Son recueil n’était pas encore sorti que Benoit Pinette annonçait déjà sa réimpression en début de semaine. La grande couverture médiatique dont il a bénéficié dans les derniers jours (et à laquelle on contribue ici même) suscite un rare engouement pour la poésie.

L’artiste ne s’en cache pas, il sait que sa notoriété de musicien risque d’attirer un nouveau public vers ce format littéraire. «Je ne suis pas niaiseux, c’est évident que ça m’aide et que je pars en avance sur quelqu’un d’autre qui écrit son premier recueil», dit-il à ce sujet.

Certainement pas niaiseux, en effet, mais plutôt modeste, car la force et la beauté de son récit poétique méritent amplement qu’on s’y intéresse.


La mémoire est une corde de bois d’allumage

Aux éditions La Peuplade

 

 

 

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