«La parfaite victime», un documentaire comme un électrochoc
Dans La parfaite victime, Monic Néron et Émilie Perrault se sont intéressées au parcours judiciaire des victimes d’agressions sexuelles. Le résultat: un film coup de poing essentiel, qui montre les failles d’un système dépassé et inadapté. Rencontre.
Pourquoi tant de gens tournent-ils le dos au système judiciaire? Pour les réalisatrices Monic Néron et Émilie Perrault – qui sont les journalistes, avec Améli Pineda, à l’origine des révélations sur Gilbert Rozon – tout a commencé par des boîtes courriel remplies d’histoires, de témoignages et d’expériences de toute sorte. «Quelque chose ressortait. Nous nous sommes rendu compte que le processus judiciaire pouvait être aussi traumatisant pour certaines et certains que l’agression sexuelle», se souvient Monic Néron.
C’est alors que le duo s’est interrogé. «Qu’est-ce que nous avons fait en demandant aux gens de se tourner vers le système après l’Affaire Rozon? poursuit-elle. Nous avions lâché une bombe, et nous nous devions de faire quelque chose. Nous avons donc poussé l’exercice plus loin, et voulu aller voir comment ça se passait de ce côté.» C’est ainsi qu’est née l’idée de La parfaite victime, il y a déjà plus de trois ans.
Le cinéma pour créer un débat
Afin d’aborder ce récit collectivement, «ça prenait les moyens du cinéma» affirme Émilie Perrault. «Quand tu t’assois dans une salle et que tu te fais raconter cette histoire, tu es captif pendant 90 minutes. Et c’est là qu’on peut vraiment aller changer les choses, une personne à la fois», ajoute-t-elle.
Pour la productrice de La parfaite victime Denise Robert (qui a aussi produit Les voleurs d’enfance et Dérapages de Paul Arcand, NDLR), les meilleurs espoirs sont permis. «Ce documentaire raconte une histoire vraie qui va toucher les gens, en faire pleurer certains. Et surtout, c’est un film qui mérite d’être en salle pour engendrer un débat de société et faire avancer notre système judiciaire».
De la scène d’ouverture où des victimes témoignent à visage découvert à la finale grandiose en hommage à Mourir à tue-tête d’Anne-Claire Poirier, si une chose est bien certaine, c’est qu’il est nécessaire de discuter de ce qui vient de se passer sous nos yeux.
Lorsqu’on évoque avec elle la question de la culture du viol auquel le système judiciaire contribuerait, Monic Néron estime que celle-ci «est tellement insidieuse que, oui, il faut s’y attaquer. Après des décennies de silence, le fléau est bien ancré». «Nous nous doutons que plusieurs n’aimeront pas le film justement parce que c’est ce qu’on fait. Nous voulons poursuivre le débat amorcé en 2017 avec Moi Aussi et nous attaquer au système. Le droit est ainsi fait, certes, mais encore?», soulève-t-elle.
Quand on ne sévit pas suffisamment, il y a un sentiment d’impunité; quand un système est un peu comme une passoire et que les agresseurs – on sait à quel point ils sont nombreux – comprennent que les chances qu’ils se retrouvent accusés et condamnés sont faibles, tout ça fait que nous en sommes là aujourd’hui.
Monic Néron, coréalisatrice de La parfaite victime
Quels changements après La parfaite victime?
«Il ne peut plus y avoir de statu quo». Émilie Perrault souhaite maintenant que le système soit capable de se remettre en question. «Des solutions existent, elles ont été apportées par le rapport Rebâtir la confiance», souligne-t-elle.
Si elle salue par ailleurs le courage des gens qui ont parlé devant la caméra, «les victimes, bien sûr, parce que ce n’est pas évident», Émilie Perrault n’en oublie pas les intervenants du système judiciaire. «Ils ont accepté l’exercice sachant que ça ne serait pas toujours simple pour eux».
La preuve, s’il en fallait une, avec la notion de doute raisonnable que certains professionnels tentent de définir au milieu du film. Cette séquence aussi géniale que gênante cristallise en effet l’enjeu de La parfaite victime. «Le doute raisonnable fait partie des fondements du système. Mais quand personne n’est capable de l’expliquer, nous sommes en droit en tant que population de nous poser des questions. C’est sain», soutient Monic Néron.
Enfin, bien loin la volonté pour les deux réalisatrices de décourager les victimes de porter plainte. «Mais est-ce qu’on peut faire en sorte que leurs droits soient davantage respectés et qu’on s’assure qu’elles ne soient pas à nouveau traumatisées?» dit Monic Néron.
Émilie Perrault insiste. «Il faut que la honte change de camp. Nous devons libérer la parole, mais aussi l’écoute, et entendre ce que les victimes ont à dire».