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Au-delà de la littérature érotique

littérature érotique
La section «érotique» de la libraire N'était-ce pas l'été Photo: Josie Desmarais/Métro

Qu’est-ce que la littérature érotique en 2021? Pour tenter de répondre à cette vaste et néanmoins indiscrète question, Métro à rencontré plusieurs personnalités du milieu littéraire montréalais. (Et laissé tomber les clichés.)

«La littérature érotique est faite pour réveiller le corps. Pour partager une passion du corps et de ses plaisirs, aussi.» Avec sa réponse franche, Mélanie Guillemette, propriétaire de la librairie N’était-ce pas l’été dans la Petite-Italie, donne le ton.

«À l’inverse de celle pornographique, qui serait une pure description des comportements sexuels, la littérature érotique susciterait plutôt le désir par l’environnement, les comportements, les mots», précise pour sa part l’écrivain Gabriel Cholette.

Jusque-là, tout va bien. Cette introduction à ce que signifie la littérature érotique contemporaine fait l’unanimité. Mais si beaucoup l’associent au très stéréotypé Cinquante nuances de Grey d’E.L. James, il suffit d’aller de se rendre sur l’une des 114 pages de la rubrique Romans et nouvelles érotiques du site leslibraires.ca pour se rendre qu’elle est – sûrement – un peu plus que ça.

Selon Alice Lacroix, qui cosigne l’autofiction On couche ensemble avec son partenaire, «la bonne littérature érotique est celle où l’on s’attache à un personnage». Et de poursuivre «c’est dur à faire, car on tombe vite dans des chemins convenus». «Souvent les récits érotiques abordent aussi d’autres thèmes, comme les angoisses existentielles. C’est le cas avec certaines BD de Jean-Louis Tripp lorsqu’il évoque des orgies, par exemple», dit ainsi Francis Juteau.

Flou artistique

L’art de la littérature érotique serait donc fourré de subtilités. Afin de définir si un ouvrage à sa place dans le rayon érotique de sa jeune librairie, Mélanie Guillemette a plusieurs critères. «Certains sont difficiles à classer, car il y a beaucoup de romans avec des scènes de sexe explicites et crues, dont Houellebecq et Bukowski, mais je ne pense pas qu’ils doivent s’y trouver», avoue-t-elle.

Finie donc l’époque où Sade était le seul à s’aventurer sur le terrain glissant de la sexualité. Mélanie Guillemette estime finalement que tout est une question de subjectivité. «J’y vais en fonction de ce qu’on me dit, de ce que je vois autour de moi». Pour cette raison, elle n’a pas hésité à mettre Jouissance Club Jüne Plã dans cette section. «Même si ce n’est pas un récit, ça explique comment rendre la relation sexuelle plaisante, peu importe le ou la partenaire. Les gens qui le feuillettent repartent avec à coup sûr», raconte-t-elle avec enthousiasme.

Alors que sa publication Les mauvais plis est présentée son éditeur L’Oie de Cravan comme un roman poétique érotique, Anne Lardeux adoucit le propos par crainte d’être cantonnée. «Le geste du livre n’est pas de faire de la littérature érotique. Politique, à la limite! La catégorie instrumentalise dans une seule ligne de lecture des pièces littéraires qui peuvent aussi faire autre chose.»

Le fait d’avoir des scènes très osées, «c’est aussi pour voir jusqu’où c’est possible d’écrire sur la sexualité. Si ça fait bander ou mouiller, tant mieux!», explique-t-elle dans un éclat de rire. Et le bandeau sur la couverture, Je mouille un lac, n’est rien d’autre que de la provocation.

«Il y a un flux d’énergie, peut-être sexuel, mais qui peut se plugger un peu partout. Oui je parle de cul, mais aussi des liens mères-filles.» Pour Anne Lardeux, la littérature érotique est effectivement «forcément très hétérogène».

Une littérature érotique loin du male gaze

Gabriel Cholette, auteur des Carnets de l’underground en collaboration avec l’illustrateur Jacob Pyne, la littérature érotique permet aussi de mettre de l’avant d’autres sexualités non hétéronormatives. «En tant qu’homosexuel, je suis étiqueté. L’érotisme prend une grande place dans notre livre, cela va de soi. Chez les gays, cela fait partie de la culture d’avoir ces lectures-là.»

«Ici [à Montréal, ndlr], nous avons un regard très profond qui transcende l’érotisme, comme chez Nicolas Giguère. Nous écrivons sur la sexualité aussi dans un but de comprendre son histoire et son importance sociale.» Au carrefour de l’Europe et des États-Unis, la métropole permet différents points de vue sur littérature et sexualité, pense Gabriel Cholette.

Admiratrice de Sarah Hache et de Rupi Kaur, Alice Lacroix salue quant à elle leurs écrits érotiques loin du male gaze dominant. «Dans On couche ensemble, nous avons voulu un questionnement de l’objectification du corps des femmes. L’intime, les émotions, le ressenti traversent le livre». Parce que le sexe est tellement caché dans nos sociétés, «il faudrait toujours qu’il soit choquant ou honteux, le garder pour soi. Nous on veut dire le contraire. C’est normal, naturel», admet enfin Francis Juteau.

[…] en attendant d’avoir un permis/je me pratique en me parquant/dans ta face

un mâle un vrai/qui me laisse le prendre dans mes bras/jusqu’à ne plus toucher terre

Extrait d’On couche ensemble de Francis Juteau et Alice Lacroix

Les intervenants ont aussi frissonné pour ces livres (pas toujours catalogués littérature érotique):

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