Avec «Dune», le rêve de Denis Villeneuve devient réalité
Impossible de consacrer une édition à la rentrée culturelle sans parler du phénomène mondial Dune. Métro a visionné en primeur le spectaculaire premier volet de ce diptyque et s’est entretenu avec son réalisateur, Denis Villeneuve, qui réalise son rêve de jeunesse avec cette remarquable adaptation du roman de Frank Herbert. Rencontre avec un cinéaste passionné, humble et empreint de sagesse.
Tous les yeux du monde sont tournés vers Dune: Part One en cette rentrée culturelle. Comment gérez-vous cette pression?
La pression n’est pas habituelle dans la mesure où la pandémie entraîne une distorsion des attentes. La réalité changeant tous les trois jours, je vais croire que le film est sorti quand je vais le voir sur les écrans. J’ai hâte que ça se fasse, je vis des montagnes russes et je suis un peu fatigué de l’attente. J’ai fait le deuil d’avoir une sortie normale ou idéale. Ça va être une sortie qui, je l’espère, aura lieu dans le contexte le plus sécuritaire possible.
Dune est une œuvre monumentale que plusieurs cinéastes, dont David Lynch, ont tenté d’adapter, sans grand succès. Transposer ce roman au grand écran est un rêve depuis longtemps. Pourquoi?
C’est un roman qui m’a subjugué, émerveillé et ébahi, quand je l’ai lu, adolescent. Ceux qui connaissent le livre savent combien c’est une œuvre dense et riche, qui explore plusieurs facettes de notre réalité. On y traite d’enjeux toujours d’actualité, comme l’héritage familial, la politique colonialiste et les dangers des mouvements religieux portés au fanatisme. Dune est une œuvre assez complète. C’est un texte qui me passionne et que je relis toujours avec grand plaisir. C’est le livre de chevet qui m’a accompagné toute ma vie. L’adapter au cinéma est un de mes vieux rêves. À Hollywood, quand on me demandait quel serait mon projet ultime, je répondais toujours Dune.
Comment vous sentez-vous maintenant que ce rêve est réalisé? Du moins, à moitié, car la finale du premier film donne hâte à la suite…
Oui, le rêve est à moitié réalisé, car pour arriver à mettre le roman en images, une des premières décisions a été de réaliser le film en deux parties. L’histoire est trop riche, j’avais besoin d’espace pour la raconter… Maintenant, comment je me sens? Faire un film vient avec une accumulation de joie, de déception et de colère… Je suis en paix avec le film. C’est un film que j’aime. Il y a des scènes qui se rapprochent beaucoup de ce que j’avais rêvé, adolescent. Ça a été une belle joie d’avoir eu le privilège de réaliser ce film librement et avec des moyens. Ça n’arrivera pas souvent dans ma vie.
Parlant de liberté, vous avez déjà affirmé à propos de Dune ne vous être jamais senti aussi libre dans la création d’un projet depuis Incendies. Pourquoi?
Quand j’ai commencé à faire du cinéma à Hollywood, Martin Scorsese m’a donné un conseil: «Stay intact». Protège la flamme en toi, essaie de ne pas te laisser contaminer ou de te laisser influencer. J’ai réussi au fil du temps à rester moi-même, à ne pas perdre mon identité. Quand j’ai fait Incendies, j’avais éprouvé, pour la première fois, un sentiment de paix à l’égard de ma façon de faire du cinéma, c’est-à-dire avec une intention. Je sentais qu’il y avait quelque chose de sincère et d’authentique dans ce que j’étais en train de faire. Je n’ai jamais trahi ça, mais je dirais qu’avec Dune, je suis entré dans un espace de jouissance. C’est un film populaire et je l’ai tourné avec toute la joie de faire un film grand public, tout en restant libre et très fidèle à moi-même.
Si les gens n’aiment pas le film, ils n’ont que moi à blâmer. Je suis entièrement responsable de ce qu’il y a à l’écran.
Denis Villeneuve, à propos de Dune
Il y a des parallèles à faire entre Dune et vos précédents films. La scène mémorable dans laquelle le baron Vladimir Harkonnen mange comme un ogre rappelle par exemple votre court métrage Next Floor. Diriez-vous que Dune est un film-somme de votre parcours?
Au début, comme cinéaste, on essaie de trouver sa voix, et, petit à petit, on commence à définir un langage. C’est dangereux, car il ne faut pas tomber dans la complaisance. On sent parfois qu’on pourrait se laisser à des patterns ou à répéter une formule. Il faut alors l’approfondir ou la travailler différemment. Oui, dans Dune, il y a un peu d’Incendies, il y un peu de Next Floor, il y a un peu d’Enemy, il y a un peu de Sicario… C’est un film qui pourrait être vu comme un film-somme, un film charnière aussi.
Qui sont vos collaborateurs québécois à Hollywood et pourquoi est-ce important pour vous de travailler avec eux?
Patrice Vermette est un collaborateur ultra important, avec qui j’ai fait… Il faut que je les compte… Quatre ou cinq films? Patrice est directeur artistique, il a été responsable d’orchestrer toute la conception visuelle de Dune. C’est un de mes collaborateurs les plus précieux. Il est au cœur de Dune. Il y a aussi Donald Mowat, mon chef maquilleur, qui vient de Montréal. Encore là, c’est une personne fondamentale. J’ai une belle collaboration également avec [la compagnie d’effets visuels] Rodeo FX, dont le concepteur visuel, Deak Ferrand, est une des premières personnes avec qui j’ai travaillé pour définir l’alphabet visuel du film. L’apport québécois dans Dune est énorme.
À quelle étape est la production de la deuxième partie de Dune?
On doit attendre de voir comment le premier film va performer. Dans le contexte, je ne peux pas le prévoir. Mais c’est présentement en écriture. Quand on aura le feu vert, on sera prêt à démarrer le tournage.
Avez-vous réfléchi à l’après-Dune? Aimeriez-vous refaire un film au Québec dans l’avenir?
Il y a quelque chose de vraiment jouissif de pouvoir aborder des univers de science-fiction ou historiques qui demandent des budgets qui ne sont pas possibles au Québec. Présentement, j’ai cette possibilité à Los Angeles et les projets s’accumulent. Il y a la deuxième partie de Dune et un film que je rêve de faire depuis longtemps sur l’histoire de Cléopâtre. Il pourrait aussi y avoir un troisième film sur Dune… Je dirais que les dix prochaines années seront occupées. Je ne dis pas que je ne veux pas revenir faire du cinéma ici, c’est juste que des films comme Blade Runner 2049 ou Dune, ce sont des marathons. Ça demande une énergie physique que je n’aurai peut-être pas à 75 ans. Je l’ai présentement. Si je veux faire ces films, c’est maintenant.
«Montréal fait partie de mon identité»
Bien qu’il passe beaucoup de temps à l’extérieur du pays pour le travail, Denis Villeneuve reste profondément attaché à Montréal. «Je conserve mes racines ici. Ça crée un équilibre important dans ma vie», dit-il. Ainsi, pas question pour celui qui a été nommé cinéaste de la décennie par la Hollywood Critics Association de s’établir ailleurs. «Montréal fait partie de mon identité, c’est ce qui me nourrit. J’y reviens pour me ressourcer, renouer avec un espace de création, avec un esprit qui n’existe pas ailleurs et qui fait partie de mon carburant comme créateur. Si mon cinéma apporte quelque chose de singulier à Los Angeles, c’est en partie parce que je viens d’ici.»
Une filmographie variée
Un 32 août sur Terre
Mettant en vedette Pascale Bussières, Alexis Martin et Emmanuel Bilodeau, ce premier long métrage du cinéaste raconte l’histoire d’une femme qui remet toute sa vie en question après un accident de voiture.
Maelström
Narrée par un poisson, cette histoire singulière traite aussi d’un accident de voiture, causé par Bibiane (Marie-Josée Croze). Alors qu’elle plonge dans le chaos, elle rencontre un homme (Jean-Nicolas Verreault) qui changera son destin.
Polytechnique
Après une pause de près de 10 ans, Denis Villeneuve revient au cinéma avec ce film coup de poing en noir et blanc relatant le féminicide de Polytechnique. Il met en vedette Karine Vanasse et Maxim Gaudette.
Incendies
Nommé aux Oscars, ce film adapté de la pièce de Wajdi Mouawad a ouvert les portes d’Hollywood au cinéaste. Mélissa Désormeaux-Poulin et Maxim Gaudette y jouent des jumeaux qui se voient confier une mission après le décès de leur mère.
Prisoners
Première production en anglais de Denis Villeneuve chez nos voisins du Sud, ce thriller nommé aux Oscars mettant en vedette Hugh Jackman et Jake Gyllenhaal porte sur l’enlèvement de deux fillettes en Pennsylvanie.
Enemy
Coproduit par le Canada, la France et l’Espagne, ce drame psychologique librement adapté d’un roman de José Saramago raconte l’histoire d’Adam (Jake Gyllenhaal), un prof d’université perturbé par la découverte de son sosie.
Sicario
En compétition pour la Palme d’Or à Cannes, nommé aux Oscars et aux BAFTA, ce thriller dont le nom signifie «tueur à gages» en espagnol plonge dans l’univers des cartels mexicains et met en scène Benicio del Toro, Emily Blunt et Josh Brolin.
Arrival
Tournée dans le Bas-Saint-Laurent, cette première incursion de Denis Villeneuve dans la science-fiction relate l’apparition inattendue de vaisseaux extraterrestres. Une linguiste (Amy Adams) est recrutée par l’armée pour établir un contact avec eux.
Blade Runner 2049
Cette suite ambitieuse du chef-d’œuvre de Ridley Scott se déroule 30 ans après l’original. Ryan Gosling y joue K, un blade runnernouveau genre découvrant un secret qui menace de déstabiliser la société et l’ordre établi.
Dune: Part One
En 10191, lorsqu’elle prend le contrôle de la planète Arrakis – où se trouve l’épice, la ressource la plus précieuse de la galaxie –, la famille Atreides entre en conflit avec l’empire Harkonnen ainsi que le peuple local.
Dune prendra l’affiche au Québec le 22 octobre.