Lou Doillon: une étoile est née
Lou Doillon, longtemps désignée «fille de» ou «demi-sœur de» au sein d’une illustre famille, vole aujourd’hui de ses propres ailes grâce à Places, un album folk qui revient sur ses années d’errance.
Depuis près de 30 ans, Lou Doillon doit composer avec les attentes d’un public qui n’a pas toujours été indulgent à son égard. Dans la presse française, on l’a souvent désignée d’abord comme «la demi-sœur de» (Charlotte Gainsbourg et Kate Barry), «la fille de» (Jane Birkin et Jacques Doillon), la jeune mère rebelle, la mannequin tatouée de Givenchy, la «It Girl» décrochant des rôles dans les films d’auteur de son papa et ainsi de suite. Mais voilà que Lou Doillon s’est finalement affranchie d’un tas de qualificatifs réducteurs en affichant ses vraies couleurs : «auteure-compositrice-interprète»! Et ça lui va à merveille.
L’artiste de 30 ans en a surpris plusieurs, et même ses proches, lorsqu’elle a lancé Places, son premier album de ballades folk acoustiques interprétées en anglais (sa «langue intime», précise-t-elle), réalisé par Étienne Daho et mixé par Zdar (Phoenix, The Rapture). Jusqu’à tout récemment, elle grattait de la guitare, peaufinait son joli timbre rauque et enfumé et pondait des textes mélancoliques marqués par ses années d’errance… en cachette. Elle partage désormais ses compositions au grand jour, dans des concerts qui affichent souvent complet en France.
Lorsqu’on la rencontre à l’Hôtel 10 lors de son séjour à Montréal en janvier dernier, c’est une Doillon enjouée et tout à fait sereine qui nous serre la main, visiblement emballée par ce nouveau tournant qui s’amorce avec Places. «Ce que j’écris n’est pas si autobiographique que ça, puisque c’est fantasmé, romancé et que ça reste dans une zone de flou», affirme l’ex-mannequin, qui dégage une indescriptible aura de rock star française avec sa longue chevelure, son élégant chandail noir et ses skinny jeans.
Ce qui émeut Doillon plus que tout, c’est la sincérité des histoires qu’un artiste raconte. Elle affectionne particulièrement les textes de Bobbie Gentry, de Fiona Apple et de Leonard Cohen, des interprètes qui n’ont pas peur de se «foutre à poil», nous explique-t-elle. «Plus il y a de stratagèmes, de couches et tout, plus ça m’éloigne. Je ne suis pas émue et j’entends le mensonge très vite. Je suis de l’avis qu’une Britney Spears ou une Rihanna n’est pas moins douée qu’une Bobbie Gentry ou une Nina Simone. Le problème se joue à la sincérité. Gentry assumait complètement son côté white trash et écrivait des chansons délirantes. Si [Britney Spears ou Rihanna] assumaient leur passé et leur parcours, je crois qu’on serait tous à quatre pattes.»
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En tête-à-tête, Doillon se révèle aussi généreuse de sa personne qu’elle l’est sur les pièces à la soul cuivrée de Places. Avec son franc-parler et ses opinions tranchées, elle est à mille lieues des artistes qui se taisent pour gagner la sympathie du public et accéder à la gloire instantanée. Elle se réjouit de la victoire du président François Hollande («Ce que Sarkozy a dégagé pendant quatre ans était consternant et très grave; la victoire de Hollande, c’était vraiment de l’ordre de l’idéologie, même si je ne pense pas qu’il va pouvoir changer tant de choses.»), s’avoue profondément consternée par les manifestations contre le mariage gai à Paris («Ça sort du sarkozysme et de cette campagne pour une France décomplexée, qui pourrait dire tout haut ce qu’elle pense tout bas.») et discute avec admiration d’un de ses héros, le défunt intellectuel anglais Christopher Hitchens («Je lisais son livre God Is Not Great dans un taxi et on m’a demandé de descendre; le manque d’humour général est très, très angoissant.»).
Lors de sa visite en sol québécois, elle s’apprêtait à affronter Françoise Hardy et Céline Dion pour le prix d’Artiste féminine de l’année aux Victoires de la musique en France. Quelques semaines plus tard, elle allait vaincre ces deux adversaires. «Je vous jure que je n’y suis pour rien», lance-t-elle à la blague à propos de son affrontement éventuel avec notre trésor national. Doillon garde des souvenirs impérissables de ce que Céline représentait lorsqu’elle était gamine : le rêve à l’américaine, dans le sens le plus joli. «Elle représente la générosité de votre pays. En France, elle est très émouvante, parce que tout le monde veut la voir avec cynisme, parce qu’on est quand même profondément Français, et on se fait avoir chaque fois, parce qu’elle est profondément divine. Il n’y a rien à lui reprocher, à part peut-être d’être trop heureuse et trop douée.»
Lou Doillon
À Osheaga
Samedi à 15 h 35