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Jean-Louis Roux décède à l'âge de 90 ans

L’acteur et metteur en scène Jean-Louis Roux, cofondateur du Théâtre du Nouveau Monde (TNM), est décédé des suites d’une longue maladie à l’âge de 90 ans.

Jean-Louis Roux avait fondé le TNM en 1951 avec Jean Gascon, Guy Hoffmann, Denise Pelletier et Georges Groulx, notamment. Acteur «élégant», formé à l’école française, il était plus à l’aise du côté de Tchekhov et Shakespeare que chez Tremblay ou même Dubé — quoiqu’il ait joué l’«intellectuel» Ovide dans les «Plouffe» de Lemelin à Radio-Canada dans les années 1950. Néanmoins, à titre de directeur artistique du TNM, il a volontiers ouvert son théâtre à de nouveaux dramaturges très québécois tels Gauvreau et Ducharme. C’est aussi lui qui a mis courageusement à l’affiche en 1978 le brûlot féministe québécois «Les Fées ont soif», de Denise Boucher.

En 1996, après deux ans au Sénat canadien, il sera quelques mois lieutenant-gouverneur du Québec, jusqu’à ce que le rattrapent des sympathies nazies «de jeunesse» manifestées durant la Deuxième Guerre mondiale. Il a ensuite présidé quelques années le Conseil des arts du Canada.

Né à Montréal le 18 mai 1923, Jean-Louis Roux fait ses premiers pas sur les planches au Collège Sainte-Marie, avec son camarade de classe Jean Gascon. Et même en poursuivant plus tard des études en médecine, sur les traces de son père, le jeune Roux joue encore, maintenant chez les «Compagnons de Saint-Laurent» du père Legault au Gesù.

En 1946, l’actrice française Ludmilla Pitoëff, exilée en Amérique avec sa compagnie pendant la guerre, engage Roux et Gascon pour jouer auprès d’elle à Montréal. Elle encouragera ensuite ces deux jeunes doués à venir prendre de vrais cours professionnels en France, et les deux Canadiens abandonneront la faculté de médecine pour le théâtre.

Après trois ans d’études à Paris, Jean-Louis Roux revient à Montréal et fonde au Gesù en 1950, avec Éloi de Grandmont, le Théâtre d’essai, qui deviendra l’année suivante le TNM, dont la mission est de présenter «des oeuvres majeures du répertoire classique et contemporain». Ainsi, le 9 octobre 1951, Jean-Louis Roux est de la première production du TNM: «L’Avare» de Molière.

Commence alors pour l’acteur une brillante carrière de grands rôles au théâtre (Pygmalion, l’oncle Vanya, Freud, le snob dans «L’Ouvre-Boîte» avec Yvon Deschamps…) et de mises en scène — une quarantaine — à «son» TNM, où il est secrétaire général à partir de 1953, avec Gascon à la direction artistique.

Après une brouille aux commandes, il quitte le TNM en 1963, pour y revenir, à la direction artistique cette fois, en 1966, lorsque Gascon claque la porte, furieux de n’avoir pu obtenir en exclusivité la salle Port-Royal de la toute nouvelle Place des arts — le TNM était alors logé à l’Orpheum, un vieux théâtre (situé en face de l’ancien cinéma Parisien) qui devait être démoli.

Jean-Louis Roux sera donc pendant 16 ans, jusqu’en 1982, à la barre du théâtre, d’abord colocataire à la salle Port-Royal (aujourd’hui le Théâtre Jean-Duceppe), puis propriétaire à la Comédie canadienne, de Gratien Gélinas, que le TNM achète en 1972 et qui est toujours sa demeure, rue Sainte-Catherine.

Des classiques aux créations

Pendant ses 16 années à la direction artistique, Jean-Louis Roux poursuit le mandat de la maison en programmant les grands classiques de la dramaturgie. Mais il offre aussi la prestigieuse scène du TNM aux nombreuses créations qui surgissent du Québec foisonnant de la Révolution tranquille — «HA ha!…» de Ducharme, «Les Oranges sont vertes» de Gauvreau.

En 1981, considérant qu’il avait perdu le soutien du conseil d’administration du théâtre, il quitte son «bébé» — qui a maintenant 30 ans. Il deviendra alors, jusqu’en 1987, directeur de l’École nationale de théâtre du Canada, à Montréal, qui avait succédé en 1960 à l’«école du TNM», fondée en 1952.

D’abord et surtout homme de théâtre, l’acteur n’a pas été très présent au petit écran: on l’avait certes vu en tout début de carrière dans «La Famille Plouffe» puis dans «La Côte de sable»; on le revoit ensuite dans «Septième Nord», «Mont-Joye», «Duplessis» et «Cormoran».

On ne l’a pas beaucoup vu non plus au cinéma — son accent, encore… —, si ce n’est, souvent, dans des petits rôles de bourgeois ou d’érudit: «Cordélia» de Jean Beaudin, «Les Portes tournantes» de Francis Mankiewicz, «Salut Victor» d’Anne Claire Poirier, et plus récemment, «Nouvelle-France» de Jean Beaudin, et «C.R.A.Z.Y.» de Jean-Marc Vallée — le curé à la messe de Minuit, sur un air des Stones.

En plus de faire sa marque comme comédien et metteur en scène, Jean-Louis Roux a occupé plusieurs fonctions dans l’industrie culturelle de même que sur la scène politique. Il a ainsi été président de la Société des auteurs (1953-1962), président du Centre canadien du théâtre (1959-1968) et vice-président du conseil d’administration de l’Office national du film (1974-1977).

L’«affaire» de la croix gammée

En 1994, le premier ministre libéral Jean Chrétien lui offre un rôle au Sénat, où il siégera pendant deux ans, avant d’être nommé en août 1996 lieutenant-gouverneur du Québec. Sa nomination est aussitôt vue comme une provocation par plusieurs souverainistes, encore amers de la défaite du Oui au référendum de l’année précédente.

C’est que pendant la campagne référendaire de 1995, Jean-Louis Roux avait comparé les «séparatistes» aux nazis. Ironiquement, il sera finalement contraint de quitter son poste deux mois à peine après son entrée en fonction lorsqu’il admet au magazine L’actualité, en novembre 1996, qu’il avait arboré une croix gammée lorsqu’il était étudiant en médecine à l’Université de Montréal au début des années 1940. Il reconnaît aussi avoir participé à une manifestation contre la Conscription au cours de laquelle des magasins «israélites» avaient été saccagés.

Jean-Louis Roux attribue ces provocations de jeunesse à de la «fanfaronnade» de «carabins», mais sa position est devenue intenable: le premier ministre Lucien Bouchard exige sa démission, Le Devoir et La Presse aussi, le Congrès juif canadien demande des excuses publiques. Le représentant de la reine au Québec jette finalement l’éponge et quitte la scène politique dans la gêne.

Le gouvernement fédéral lui donne quand même une autre chance, et le nomme président du Conseil des arts du Canada en 1997; il y restera jusqu’en 2003.

Lauréat de nombreuses récompenses, Jean-Louis Roux a notamment reçu le prix Victor-Morin de la SSJBM en 1969, le prix Molson du Conseil des arts du Canada en 1976, le prix Denise-Pelletier du gouvernement du Québec en 1987 et le prix du Gouverneur général pour les arts de la scène en 2004. Il a également été nommé Compagnon de l’Ordre du Canada en 1987 et Chevalier de l’Ordre national du Québec en 1989.

Il a traduit de nombreuses pièces, dont plusieurs Shakespeare, et a publié des mémoires en 1997, «Nous sommes tous des acteurs».

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