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The Crash Reel: tomber de haut

Photo: adam moran

Il y a quatre ans, Kevin Pearce était au sommet. Sommet des pistes, sommet des podiums, sommet du monde. À 22 ans, le dieu américain du snowboard avait la reconnaissance, des commanditaires, une petite amie athlète comme lui. Il gagnait des tonnes d’argent, raflait tous les trophées au nez de son rival, le présumé imbattable Shaun White. Oui, KP était au sommet. Mais le 31 décembre 2009, un terrible accident l’a forcé à mettre une croix sur ses rêves. Avec The Crash Reel, la documentariste Lucy Walker retrace son ascension, sa chute, et son lent retour à la vie.

Il fut un temps où Kevin Pearce menait une vie de rêve. Celle des pistes, qu’il dévalait, celle des virées entre amis, dont il était l’idole, celle des compétitions, où il arrivait toujours premier. Mais l’existence du planchiste professionnel a basculé le 31 décembre 2009, 49 jours avant les J.O. de Vancouver. Dans un half-pipe de l’Utah, l’espoir olympique a essayé un truc qui lui donnait du fil à retordre. Sa bête noire : le double cork. Une complexe et périlleuse combinaison de rotations verticales et horizontales. Plutôt que d’atterrir sur sa planche, Pearce a atterri sur son visage.

Victime d’un traumatisme craniocérébral sévère, l’athlète américain a passé 26 jours aux soins intensifs. Puis, il a entamé une longue période de réadaptation. Autant physique que psychologique. Car, quand on a connu l’extase d’une vie faite de snow et de liberté, comment accepter de devoir tout recommencer? Quand on s’est adonné à toutes les acrobaties, comment accepter de devoir réapprivoiser des gestes qui nous semblaient autrefois banals, comme dessiner un bonhomme correctement ou lancer un ballon de basket vers un panier?

Avec The Crash Reel, un film composé, entre autres, d’une imposante collection d’images d’archives, Lucy Walker (Wasteland) retrace le parcours de Pearce, jeune homme fascinant de maturité, qui réapprend à vivre, petit à petit. L’œuvre, qui se trouve sur la longue liste des candidats à l’Oscar du meilleur documentaire, aborde par la bande la question des sports extrêmes et de ces athlètes soumis à la folle pression de la performance et du spectacle. «Ils risquent tout; ils risquent la mort», dit Lucy Walker.

Pour pousser les spectateurs à prendre conscience de l’ampleur du risque, la réalisatrice britannique résidant à L.A. fait défiler dans son docu des images d’horreur, d’écrasements. Habituellement, un «crash reel» est un montage de chutes et d’accidents mineurs. Un montage qui vise à faire rigoler les spectateurs et à les faire crier : «Woaaaah! Malade!». Mais devant le film de Walker, personne ne crie d’excitation ou ne rigole. Car les chutes que la cinéaste présente ont toutes eu des conséquences tragiques. On voit notamment Sarah Burke, reine canadienne du freestyle, décédée l’an dernier des suites d’un accident de ski. Puis, Stephen Murray, star du BMX, devenu paraplégique.

Par ces images qui n’ont pas fait plaisir aux organisateurs des X Games – «Ils ne voulaient pas qu’on montre de telles scènes» – Walker prouve qu’en tant que spectateur, on ne veut pas regarder ces chutes terribles, mais qu’on le fait quand même, et que si on se cache les yeux, ce n’est que pour mieux écarter les doigts et observer ces accidents avec un mélange de peur et, tristement, de fascination. «Je voulais rappeler aux spectateurs que ces sports sont extrêmement populaires et les pousser à se demander : ‘’Sommes-nous complices?’’»

Dans ce documentaire comme dans tout «film de snow», la musique occupe une place primordiale – The Hives martèlent Come On, Asaf Avidan livre sa Reckoning Song. Mais The Crash Reel n’est pas qu’un film de sport. C’est aussi une histoire d’amitié, de famille. Car Kevin Pearce en possède une hors du commun, de famille : unie, présente, aimante. À l’écran, on la voit souvent réunie autour d’une table, dans une discussion animée.

Craquer pour le clan Pearce ne demande que quelques secondes. Il y a le père, artiste souffleur de verre, la mère, au sourire grand comme ça, et les frères de Kevin avec lesquels il fait les 400 coups, dont l’adorable David, atteint de trisomie 21, qui vole la vedette avec son cœur immense, sa sensibilité, son humour.

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Tandis que Kevin se remet lentement de son accident, David raconte à la caméra comment il apprend à vivre avec le syndrome de Down, qu’il surnomme «le syndrome de Up», parce qu’il est «quelqu’un de hop-la-vie!» «Je trouvais émouvant et intéressant de voir les deux frères se battre pour accepter leur handicap…»

Du déni à la colère, du dépit à l’acceptation, Kevin Pearce passe par plusieurs phases. Longtemps, il ne veut qu’une chose : se présenter aux J.O. «J’étais complètement accro à son histoire, concède Lucy Walker. Je voulais connaître la suite. Je devais connaître la suite. Même dans les moments difficiles, je n’ai pas détourné le regard. J’ai continué de filmer.»

Kevin et David

L’impact

«Dans le cas d’un traumatisme craniocérébral sévère, ce n’est pas juste la boîte crânienne qui est atteinte, mais aussi le cerveau, explique Catherine Roberge, infirmière clinicienne en traumatologie au CHU Sainte-Justine. On parle alors de saignements dans le cerveau et sur le cerveau; de multiples fractures du crâne ainsi que de fractures faciales. Ces blessures, dépendamment de l’endroit où elles sont situées dans la tête, ont des conséquences sur le plan des acquis.»

Un tel traumatisme «affecte vraiment toutes les sphères de la vie, tant sur le plan professionnel que social», ajoute-t-elle. Dans The Crash Reel, par exemple, un ami de Kevin Pearce avoue candidement être parfois gêné par le nouveau comportement de son copain, soulignant que, depuis son accident, KP dit des trucs inappropriés, se comporte étrangement, n’est plus «comme avant». «No offense, Kev», s’excuse-t-il à la caméra avec un sourire contrit. «Un saignement au niveau du front, du devant du cerveau, entraîne un changement de personnalité, remarque Catherine Roberge. Le patient devient désinhibé. Je vois beaucoup de parents qui me disent : mon enfant n’a jamais été comme ça, il a toujours été poli, maintenant il dit des choses obscènes, il sacre…»

Notons que si The Crash Reel présente des images de la chute catastrophique de Kevin Pearce, il s’intéresse aussi à la réadaptation de l’athlète. Pendant deux ans, épaulé par le personnel médical, par son frère Adam, par sa famille, il recommence lentement à parler, à se tenir debout, à tenir un crayon. «Pour un traumatisme craniocérébral grave, la réadaptation peut prendre des années, souligne Catherine Roberge. Les saignements sur la tête, sur le cerveau, affectent toutes les fonctions cognitives. [Les blessés] perdent des habilités, comme celle à résoudre des problèmes de mathématiques. Souvent, il faut qu’ils réapprennent à parler, à manger, à boire…»

À l’instar de Kevin Pearce, c’est tout leur monde que les patients voient s’écrouler. «Les accidentés parlent souvent avec lenteur, cherchent leurs mots. Il arrive que les gens pensent qu’ils ont une déficience, mais ce n’est pas ça du tout. Ils comprennent vraiment tout ce qui se passe, ils sont conscients des difficultés qu’ils éprouvent, mais ils n’ont plus les moyens de communiquer, de transmettre leur message et d’interagir avec les autres. Il faut beaucoup de patience.»

À Sainte-Justine, centre d’excellence en traumatologie du Québec, les sports sont la troisième cause de traumatismes craniocérébraux graves après les accidents de la route et la maltraitance. «En 2012-2013, on a eu 43 patients qui ont subi un traumatisme craniocérébral modéré ou grave. Malheureusement, sur les 43, on a eu 3 décès. C’est énorme», remarque Catherine Roberge. Ce qu’il faut faire pour prévenir ces tragédies? On ne le dira jamais assez, on ne le dira jamais trop : il est primordial de porter un casque. «Ça n’empêche pas l’accident, conclut l’infirmière clinicienne, mais ça diminue la gravité des blessures.»

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