Leigh Newman: Alaska, de cœur et de mémoire
Le cœur au nord? «C’est un livre pour les solitaires», dit Leigh Newman. Un livre où l’auteure américaine, elle-même âme sauvage aux attaches difficiles à nouer, relate son enfance, scindée en deux par le divorce de ses parents. Avec force rythme, humour et sensibilité, Newman raconte les allers-retours de sa jeunesse entre son père, médecin alaskain amoureux de plein air, et sa mère, travailleuse sociale et fervente collectionneuse d’antiquités de Baltimore. De passage à Montréal, celle qui est devenue chroniqueuse pour Oprah.com nous parle de ses mémoires, qu’elle a écrits pour les solitaires peut-être, mais à la lecture desquels on risque de se sentir drôlement moins seul…
Des excursions de plusieurs jours en montagne sans vivres ni vêtements adéquats, des nuits passées toute petite dans une tente assiégée par un grizzli, des baignades en plein milieu du Pacifique au large des Galapagos coincée au centre d’une famille de dauphins drôlement moins amicale qu’elle n’en avait l’air… Leigh Newman en a vécu des frousses au cours de sa vie en constant mouvement. Mais elle dit n’avoir jamais eu aussi peur qu’en écrivant son premier roman, Still Points North. «C’est la chose la plus dangereuse que j’aie jamais accomplie. J’étais terrifiée à chaque instant», confie-t-elle.
Il faut dire que, dans ce récit autobiographique, traduit en français par Pierre Thibeault sous le nom de Le cœur au nord («J’adore ce titre!» s’exclame la romancière francophile), Newman a fouillé dans ses souvenirs et exploré les failles. Celles de sa vie, de sa famille, de son enfance. «La seule façon dont je suis parvenue à écrire, c’est en disant la vérité, dit-elle. Se mettre en danger à moitié, ça ne sert à rien.»
Le livre retrace le parcours de Leigh, petite fille avec un grand caractère, qui ne comprend pas pourquoi sa mère et elle ont soudain quitté Anchorage, en Alaska, pour descendre en traversier jusqu’à Seattle, puis rouler des milliers de kilomètres en voiture, se rendant jusqu’au Mexique, pour ensuite aller s’établir à Baltimore. Une petite fille qui s’inquiète des troublants symptômes de compulsion consumériste de sa maman, qui cumule les emplois et court les boutiques d’antiquaires. Une petite fille qui, lorsqu’elle revient aux côtés de son père, pour les vacances d’été ou de Noël, tente de s’acclimater à la nouvelle vie de ce dernier, qui s’est remarié.
La personnalité de l’auteure, d’une nature qu’on devine aussi secrète qu’aventurière transparaît dans chaque passage de ce roman. Sa plume qui sait se faire discrète, évocatrice, ne révèle pas tout d’un coup, laissant des émotions en suspens, n’analysant pas les réactions plus qu’il le faut. «Je voulais seulement montrer la surface, explique-t-elle. Car derrière chaque petite action se cachent des centaines de milliers de motivations pour lesquelles nous faisons quelque chose, et chacune d’entre elles est pertinente et réelle», remarque-t-elle.
Dans cette optique, elle a par exemple gardé une scène dramatique de son enfance pour la fin, soulignant que «certains auteurs auraient commencé par la mettre au début». «J’imagine que c’était hasardeux, s’esclaffe-t-elle. Mais je fais toujours des choses risquées comme ça. Je ne réalise pas qu’elles le sont et après je me dis: à quoi diable je pensais?!»
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En personne, comme dans son roman, Leigh Newman raconte les anecdotes qui ont jalonné son existence de manière vive. Certaines sont teintées d’humour («Toutes mes rencontres fortuites avec des grizzlis ont été relativement paisibles», «Mon premier voyage au Japon, quand j’étais ado, avait des airs de Lost in Translation»). Mais beaucoup d’autres sont empreintes d’une grande tristesse, d’isolement, de remise en question.
Dans Le cœur au nord, cette grande exploratrice, qui est aussi chroniqueuse voyage, décrit toutes les amitiés auxquelles elle a mis un terme, toutes les relations qu’elle a sabordées, abandonnant les autres avant que les autres ne l’abandonnent, fuyant le confort dans lequel elle s’est toujours sentie inconfortable. «Il y a eu une période de ma vie où la seule chose que je savais faire, c’était de tout briser. J’ai broyé mon propre mariage. J’ai quitté de bons emplois. Maintenant, plutôt que de détruire, je crée. Souvent des situations et des trucs compliqués, mais bon, je pense que je m’améliore!» remarque-t-elle.
On sent d’ailleurs que l’écriture a confronté cette femme férocement indépendante à elle-même. «Il y a eu des matins où je me réveillais, je me mettais à écrire, puis j’éclatais en sanglots sans pouvoir m’arrêter. Je me suis rendue au bord de la falaise avec ce livre. C’est devenu une bataille obsessive et folle avec moi-même pour ne pas raconter n’importe quoi.» Elle s’est d’ailleurs imposé une règle : «N’écrire que par amour.» «C’est facile de voir quand un auteur commence à punir ses proches. Je n’étais pas intéressée à fustiger qui que ce soit. Je crois que l’écriture et l’art qui en résulte doivent venir du cœur.»
Les mots d’où l’on vient
Lorsqu’on écrit un roman autobiographique et, qui plus est, un roman autobiographique se déroulant dans une contrée qui semble exotique aux yeux de la plupart des gens, n’existe-t-il pas ce risque de devenir une sorte de porte-parole des lieux? «Oui et non», répond Leigh Newman avant de préciser qu’au-delà de l’Alaska de son enfance, qu’elle adore, elle souhaite que ce soit son écriture, et non son passé géographique qui la définisse. «Je me sens hésitante à l’idée de parler au nom de l’État entier. Je n’y habite plus à temps plein. Et puis, la chose la plus importante pour moi, c’est l’écriture. Je passe beaucoup de temps à étudier mes phrases, à concocter des scènes, à réfléchir comment créer de l’émotion, de la beauté et de la laideur par le biais des mots. Je relis tout à voix haute 10 fois!»
Dans Le cœur au nord, l’auteure fait d’ailleurs une distinction entre l’Alaska et son Alaska. Le sien, celui «de la fin des années 1970, des années 1980 et du début des années 1990», elle s’en souvient comme d’un lieu où il n’y avait «ni chaînes de magasins, ni Gap, ni autant de gens qu’aujourd’hui.» «Mon Alaska est figée dans le temps», remarque-t-elle dans un sourire.
Le cœur au nord
Aux éditions Recto/Verso
En librairie