Hôtel La Louisiane: îlot de résistance
Avec son très beau documentaire Hôtel La Louisiane, le réalisateur Michel La Veaux nous offre un plongeon au cœur de Saint-Germain-des-Prés, le Paris des existentialistes.
C’est au retour d’un tournage en Italie que le réputé directeur photo québécois Michel La Veaux s’est retrouvé à l’hôtel La Louisiane. «Les couloirs étroits, l’ambiance, l’absence de téléviseurs: j’avais l’impression d’être dans le Paris d’après-guerre. Dans le Saint-Germain-des-Prés de la belle époque, et ce, en raison de la structure et de la localisation de l’hôtel et du fait qu’il n’y a pas d’échappatoire. Si tu veux voir un film, par exemple, tu dois aller au cinéma. Lorsqu’on loge à cet endroit, on doit y vivre à la parisienne, comme dans le temps. Le lieu m’a littéralement happé», explique La Veaux, le regard lumineux, lorsqu’on lui demande d’évoquer son premier contact avec le La Louisiane. Ce paquebot hors du temps où Quentin Tarantino en bobette vient croiser l’âme existentialiste de Jean-Paul Sartre et de Simone de Beauvoir, à moins que ce ne soit pour y écouter les notes bleues de Miles Davis qui résonnent encore entre les murmures de Gréco.
Si La Veaux ne pouvait évidemment pas recueillir les témoignages de ces grands disparus, et qu’il a loupé Tarantino à quelques reprises, il a néanmoins pu saisir dans son premier documentaire l’âme de cet îlot de résistance situé dans le quartier bobo (lire: bourgeois bohème) grâce aux témoignages de la grande Gréco et de quelques autres habitués, dont Robert Lepage.
Le film révèle d’ailleurs que c’est dans cet hôtel que le célèbre homme de théâtre québécois s’était réfugié pour traverser une éprouvante rupture amoureuse. «Il n’y a rien de pire que d’entendre les sons de l’amour lorsque tu es en peine d’amour», confie Lepage. Mais l’ambiance surréaliste des films de Cocteau et la sublimation de la souffrance ont contribué à la création de la pièce Les aiguilles et l’opium, dont l’action se déroule au… La Louisiane.
Parmi les autres participants du film, notons la lumineuse présence d’Albert Cossery auquel le film est dédié. L’écrivain, qui a passé quelque 60 années à habiter cet endroit, nous éblouit par sa liberté absolue: «La paresse, c’est le ton de la réflexion; plus tu es oisif et plus tu as le temps de réfléchir. Ce qui tue les gens, c’est leur ambition. Je n’ai jamais désiré autre chose que d’être moi-même. Je peux marcher dans la rue avec les mains dans les poches et je me sens comme un prince», souffle le rimbaldien personnage, qui ne possédait que trois costumes et une machine à écrire.
«Je me relevais péniblement d’une maladie. Je me suis mis debout devant la fenêtre de ma chambre 10, qui donne sur la rue de Seine, et jamais, jamais, je n’ai ressenti un tel bonheur. Je me suis dit: “Je sais qui je suis, pourquoi je fais du cinéma et je vais chercher à comprendre comment je pourrais devenir un meilleur être humain”.» – Michel La Veaux, en parlant de son second séjour au La Louisiane
Bien sûr, jazzmen toxicos et autres noceurs désœuvrés ont squatté ce refuge, dont, malgré les pressions financières, la vocation artistique est demeurée intacte, grâce à la détermination de l’héritier des lieux. Cependant, La Veaux, qui souhaitait faire un film aux teintes oniriques, a évacué d’emblée cet aspect de la réalité. «C’est un hôtel d’une extrême simplicité, voire de pauvreté. De son absence de design se dégage une beauté autoritaire qui a la puissance d’une aura», dit en substance l’écrivain Olivier Py.
Un mois après le carnage de Paris, cette bulle cinématographique nous transporte pendant une heure et demie dans un lieu où nichaient hier encore tous les possibles.
Ce n’est pas rien.
Hôtel La Louisiane
En salle dès vendredi