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Il était une fois dans le métro…

Photo: Montage: Emmanuelle Houle

Plutôt que de demander à ses chroniqueurs une rétrospective de l’année 2015, Métro leur a proposé un exercice moins sérieux (mais plus périlleux): un cadavre exquis. Un quoi? Imaginez que nos chroniqueurs soient des coureurs à relais. C’est une métaphore, bien sûr: ils ne courent pas, ils sont assis devant un écran; ils ne se transfèrent pas un témoin, ils se tendent plutôt un clavier. Métro a donc rédigé l’intro et nos chroniqueurs ont poursuivi le récit. C’est beau et lumineux au début, comme des grelots de Noël, et ça dérape à la fin, comme mononcle Yvon à 2h du matin le soir du réveillon.

24 décembre, 23h55
Appuyée au mur sous une enseigne de la station de métro Guy-Concordia, Frédérique rêvasse. Elle s’imagine embrassant un prince charmant, comme le commande la tradition lorsqu’on se tient sous le gui (-Concordia…). Vêtue d’un manteau rouge, debout sur un quai de la ligne verte, elle attend le métro et Noël, qui pourraient arriver main dans la main sur les 12 coups de minuit…

Antoine CharAntoine Char
…C’est alors que Frédérique sent une présence. Elle se retourne. Sourit. Il n’a pas plus de dix ans. Ses yeux sont presque aussi lumineux que les deux grelots accrochés à son écharpe. Elle lui demande s’il est perdu. Il tremble malgré son lourd manteau. Il cherche son père. Il est vraiment perdu. Seul au monde. En plein Noël. Comme elle. Que faire? Alerter la police? Oui, au plus vite. Pas la moindre seconde à perdre. Mais avant, elle le prend dans ses bras. Son manteau rouge doit dégager toute la chaleur qu’il attend en cette nuit de Noël. Ils se tiennent l’un contre l’autre. Noël brille de tous ses feux.

– Aylan !

L’enfant se dégage du manteau rouge et court vers son père.

Sylvain MénardSylvain Ménard
… Ça ne s’invente pas. Un enfant prénommé Aylan! Quelque mois à peine après en avoir vu un sur une photo qui restera à jamais gravée dans nos mémoires, voilà que d’autres Aylan apparaissent maintenant en vrai.

Hormis son fils, le père, lui, ne cherche personne d’autre. Personne. Dans leur nouveau pays d’adoption, tous deux sont désormais fin seuls. Un coup les formalités d’accueil réglées, les nombreuses inscriptions dûment remplies, leur vie nouvelle a pris le dessus sur l’extraordinaire tourbillon de gentillesse du début…

Partout, au cours des dernières semaines, des lumières qui n’y étaient pas à leur arrivée se sont mises à scintiller dans la grande ville. Pour qui, pour quoi? Ces deux-là n’en avaient pas la moindre idée. Frédérique et le père échangent un sourire.

Hassan-SerrajiHassan Serraji
… Aylan chuchote à l’oreille de son père quelque chose qui le fige. L’homme murmure aussitôt à son fils en arabe: «Mais oui, tu as raison. Elle lui ressemble drôlement.»

La démarche tremblante, le papa s’approche de la jolie demoiselle, sort une photo de son portefeuille et la lui tend d’une main hésitante.

«Vous avez le même sourire que ma fille», lance-t-il à l’inconnue du métro dans un parfait français à l’accent oriental.

Honorée, Frédérique saisit la photo et demande à cet homme visiblement touché le prénom de sa fille. Il lui répond: «Elle s’appelait Mayada», puis il éclate en sanglots.

Surprise, Frédérique prend l’homme dans ses bras et tente de le réconforter. Il est inconsolable.

Judith-LussierJudith Lussier
… Pupitreuse dans un journal, Frédérique a vu défiler toute l’année, sur les fils de presse, des images de ces migrants fuyant la guerre, parfois au péril de leur vie. Chaque fois, elle a pris soin de sélectionner minutieusement les photos illustrant ce drame humain qui l’a touchée d’une manière qu’elle ne s’expliquait pas.

Elle a passé de longues minutes à regarder ces visages anonymes. Sur son écran, elle a fait agrandir les images pour repérer le regard d’un enfant au sein d’une foule, la colère sur le visage d’une mère, le désespoir d’un père. Elle a tenté d’imaginer leurs vies. Elle n’a aucune idée de ce à quoi peut ressembler, concrètement, la réalité des Syriens.

C’est alors qu’elle reconnaît le visage de ce père qui pleure dans ses bras.

Fred DubéFred Dubé
… «Vous ressemblez à Osama Abdul Mohsen, ce réfugié syrien qui portait son fils dans ses bras et qu’une journaliste hongroise d’extrême droite a fait trébucher volontairement d’un croche-pied.»

C’est nous, dit l’homme. Vous avez l’œil, mademoiselle. Après avoir séjourné en Espagne, nous sommes venus ici. Nous avons été accueillis à l’aéroport par un bel éphèbe aux dents blanches et à la chevelure majestueuse. Justin Trudeau, qu’il s’appelait. Il y avait aussi de nombreux journalistes et un metteur en scène pour organiser les photos et les vidéos. Malheureusement, mon fils, trop excité, s’est mis à courir. Alors, un journaliste du Journal de Montréal l’a fait trébucher d’un croche-pied. Sur une photo de La Presse, on peut voir le bout de ses petites pattes et Justin qui fixe l’horizon.

Catherine ÉthierCatherine Éthier
… Sidérée par l’étonnante suite d’improbables coïncidences et de ressemblances fortuites (après tout, ce qu’elle voulait, cet après-midi-là, c’était s’acheter des bas de nylon à Peel), Frédérique s’enquiert d’abord de l’état des genoux du petit garçon qui, en plus d’avoir traversé tant d’épreuves et de plans d’eau, devait avoir les rotules en compote à force de chuter ainsi. Heureusement, la magie du temps des Fêtes a fait son œuvre et les articulations du garçonnet semblent aussi sémillantes et graciles que celles du jeune Billy Elliot. Touché, Osama Abdul Mohsen remercie Frédérique de sa bienveillance. Et comme c’est Noël, les trois comparses entament, sans crier gare, un furieux Bollywood, entraînant dans leur enthousiasme de la Nativité tous les voyageurs du métro qui, parce que ça adonne bien, connaissaient aussi l’heureuse chorégraphie.

Joyeux Noël à tous!

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