Erika Soucy: Poésie de chantier
Parce «qu’elle a trop de questions encore pour l’adulte qu’elle devient», Erika Soucy part rejoindre son père sur le chantier de la Romaine. En espérant, peut-être, surmonter Les murailles.
Petite, Erika Soucy aurait aimé voir son père revenir de ses semaines de travail, au loin, et que ce soit comme dans les films. Magique, teinté de sauts dans les bras au ralenti, de tourbillons dans les airs. Mais ça ne se passait pas tout à fait comme ça. Jamais comme ça. Entre autres, écrit-elle, parce qu’elle «ne s’en ennuyait pas».
Bien plus tard, devenue maman, la jeune femme part pour quelques jours retrouver son père à la Romaine. De cette plongée dans un univers principalement masculin, où les princes roulent en pick-up quatre portes, l’auteure originaire de Portneuf-sur-Mer tirera d’abord des poèmes. Puis ces Murailles, dont les chapitres – «C’est comme ça que le grave est devenu pâle, pâle, pâle», «Les trous, la pierre, la dynamite et le cœur» – sont faits de vers empruntés à son deuxième recueil, L’épiphanie dans le front.
Écrit au «tu» à son amoureux et à leur bébé, sur le point alors de fêter son premier anniversaire, ce roman fort, poignant, est rempli par la présence de ce père qu’elle a connu pourtant absent. Un homme qu’elle voit, dans cet habitat qu’elle n’a fait qu’imaginer toute sa vie, «souriant comme jamais», fier de son nouveau tatouage d’«un ostie de dragon laitte chevauché par une enfant mal dessinée», fier d’elle, fier de son travail.
Il y a beaucoup de répétitions dans ce que vous décrivez. Pas dans la façon dont vous l’écrivez, mais dans la nature même de l’univers qui vous sert de décor. La répétition des journées que vivent ces travailleurs. La répétition des blagues qu’ils font, des histoires qu’ils racontent. Avez-vous trouvé, en étant là-bas, un certain réconfort dans cette répétitivité?
Moi, peut-être pas, mais je pense que les gars autour de moi, oui. Comme mon père, qui répète toujours les mêmes jokes! Ça vient peut-être du fait que, quand ils redescendent à la maison, le fun qu’ils ont, les souvenirs du Nord, ils les mettent dans leurs bagages et ils les ressortent seulement quand ils remontent sur le chantier. Les bons moments qui sortent de l’ordinaire sont rares. Il y a peut-être un désir de les garder, de les revivre. Ils sont précieux.
Dans ce livre, on vous appelle «ma fille», évidemment, mais aussi «ma belle nièce d’amour», «la p’tite». Il y a là quelque chose de tendre et de touchant. Est-ce que vous vous sentiez, d’une certaine façon, protégée par ces mots?
Ben oui! Et je pense que si j’ai eu le guts de partir là, c’est parce que je savais qu’à l’autre bout, j’allais trouver des gens qui m’aimaient et qui allaient prendre soin de moi. Je ne suis pas sûre que je serais partie si mon père, mes oncles, mes cousins n’avaient pas été là. De toute façon, l’intrusion dans cet univers aurait été beaucoup plus difficile, peut-être même impossible. Parce que j’ai l’air de rien : une petite fille toute jeune et pas méchante pour cinq cennes! (Rires) Ça m’a donné accès à des témoignages, et ç’a mis les gars en confiance. C’est comme si ce rapport très tendre, paternaliste me réconfortait. Et eux aussi.
«J’ai l’air fine de même à écrire de la poésie sur ma région natale, mais concrètement, je n’apporte rien de plus que des histoires qui fascinent ceux qui viennent d’ailleurs. Pas de quoi faire rouler l’économie locale.» -Extrait des Murailles, d’Erika Soucy
Une des raisons pour lesquelles les gars semblent vous accepter, c’est aussi votre humour. Il y a d’ailleurs plusieurs moments drôles dans le livre. «Il fait chaud (…) Mon père sue à grosses gouttes. Il dit que c’est à cause de la haute pression, mais moi je dis que c’est à cause de son coton ouaté.» C’est quelque chose de naturel, on imagine, dans votre plume comme dans votre personne?
Oui! (Rires) J’ai eu beaucoup de plaisir à écrire ça. Je me faisais rire. D’un autre côté, il y avait des affaires que j’entendais qui n’avaient pas de bon sens! Et je me disais : «Mais cette réplique est savoureuse! Je vais la mettre quelque part!» En plus, les gars passent ben des sujets sous le couvert de la joke.
Vous décrivez un côté presque «cour d’école» de cet univers. «Ça potine fort chez Forage-Dynamitage Cloutier»; «Il dit ça comme une fillette qui bavasserait dans le dos d’une autre.» Ça vous a frappée?
Vraiment! Ça va avoir l’air cliché, mais il y en a qui m’ont dit : «Tsé, on pense souvent que dans une gang de femmes, les couteaux volent bas, mais j’peux te dire que dans une gang de gars, c’est pire!» Bon, je pense que c’est la promiscuité qui fait ça plus que le sexe des gens, mais c’est vrai que ça devient comme un village. Tout le monde potine, il y en a qui se montent les uns contre les autres… Un de mes oncles m’a dit : «Ben là, crisse! On n’est pas des danseuses de ballet! On se parle comme des gars de chantier!»
Vous avez dit qu’écrire ce roman était une façon de comprendre votre père. Mais au fil des pages, vous semblez aussi comprendre certains aspects de votre mère, et de tous ces hommes qui vont travailler dans le Nord. Pensiez-vous faire le point
sur autant d’éléments?
J’y suis allée avec une ouverture. J’espérais trouver des réponses. Et je les ai trouvées. Il y a aussi plein de réflexions qui sont venues plus tard, après le voyage. Mais tout n’est pas réglé. Ce n’est pas parce que tu vas là pour observer que tous tes problèmes s’en vont pis qu’il y a une belle relation qui naît. Non. Mais moi, mon bout de chemin est fait. En tout cas, je pense.
Quand vous expliquez que vous allez tirer des textes de ce voyage, votre (fictif) mononc’ Gérard lance : «En autant qu’on ait l’air de c’qu’on est pour de vrai!» Ne pas dénaturer la réalité, c’était ce qu’il y avait de plus important?
L’aspect documentaire était très important. Je ne voulais salir personne. Ça, c’était clair. Mais je ne voulais pas rendre les choses toutes belles et toutes fines. Où il y a du beau, il y a du beau. Où il y a du laid, il y a du laid. Et puis, même moi, je ne me rappelle plus pour vrai ce qui est arrivé là-bas. Le livre a tellement pris de place dans mon processus de réflexion que les souvenirs que j’en ai, ce sont ceux que j’ai écrits.
Les murailles
VLB Éditeur