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Indomptable Cage the Elephant

Photo: Collaboration spéciale

À défaut de toujours marcher sur un nuage, le frontman de Cage the Elephant, Matt Shultz, marche sur les foules. Habitué des textes crève-cœur, qu’il gueule avec ferveur du plus profond de son être, il vide son âme sur Tell Me I’m Pretty. Un quatrième album sur lequel, avec sa bande du Kentucky, il a mis la gomme, étendu sa palette, rouvert des cicatrices qu’il croyait guéries, et fouillé dans les sonorités et les souvenirs du passé. Un passé qui remonte, comme il le chantait sur Aberdeen, à «way back, way back».

Depuis qu’il a abandonné la plomberie pour se jeter tête première dans la musique et fonder Cage the Elephant avec son frère Brad, Matt Shultz traîne sa réputation de casse-cou, sa vision contemplative de la vie, son amour profond du rock’n’roll. Sans oublier cette «fascination, peut-être même obsession» pour la mort.

Le plus récent album de la bande américaine s’ouvre d’ailleurs sur Cry Baby, une pièce complètement imprégnée de cette fascin… non, obsession qui le ronge. «What if you die?» demande-t-il, avant de confirmer, plus loin, «you’re gonna die, die». Le thème est récurrent dans la discographie de CTE. Mentionner la mort si souvent, ça aide à l’accepter? La défier? L’affronter? Pause. Prolongée. (La première d’une longue série. Matt prend beaucoup de pauses). «Je dirais que la musique, pour moi, c’est une façon de communiquer. Et je pense beaucoup à la mort. Aussi morbide que cela puisse sembler!» s’esclaffe-t-il, avant de se faire silencieux à nouveau.

Puis, sans plus de cérémonie, il revient à la source, visiblement marquante, de l’angoisse. «C’était à nos débuts en tant que groupe. On est débarqués à New York. Sur la route de l’aéroport, on est passés près d’un énorme cimetière. Il y avait des pierres tombales à perte de vue. Pour la première fois de ma vie, j’ai réalisé “Oh. C’est ce qui nous attend tous.”»

Depuis, le sujet teinte ses textes – moins toutefois que l’amour, tordu et déchirant. Pas pour rien que la plupart des pièces que chante Matt sont, et ont toujours été, au «You». Un «toi» pas forcément défini, mais qui semble souvent renvoyer à une fille pour laquelle il ferait bien des niaiseries. Sur le dernier album, il parle ainsi au «tu» sur Too Late To Say Goodbye, viscérale complainte aux accents blues relatant un premier amour dans le danger et la toxicité duquel il s’est enlisé.

Reste que dans ses histoires, il fait aussi apparaître des personnages. Dans Cold Cold Cold, par exemple, le «toi» se multiplie par trois. Tour à tour, le frontman s’adresse à toi, un docteur («Dieu. Ou le diable.»). Toi, une infirmière («La tentation de l’adultère»). Et toi, un conseiller («Un ami»). À la mention de cette pièce, Matt s’emballe, et son débit s’accélère. Spontanément, il raconte que l’inspiration lui est venue à une époque où son épouse, la mannequin Juliette Buchs, «voyageait souvent». «Je passais beaucoup de temps tout seul. Plus précisément, beaucoup de temps loin de ma femme. En plus, j’avais des poussées de dépression extrême. J’ai donc voulu écrire sur les nombreux pièges que la vie nous tend quand on est laissé à soi-même. Cette chanson, en gros, c’est : “Je suis malade, je rue dans les brancards et je dis assez. Emmenez-moi à l’hôpital. Je n’en peux plus.”»

Parmi les autres protagonistes qui traversent l’album, il y a cette fille qui démonte les méchants sur Punchin’ Bag. Une pièce nettement plus marrante, née d’une chicane avec son frère aîné (d’un an), Brad, guitariste. «En studio, il n’arrêtait pas de me tomber dessus. C’est là que la phrase “je ne suis pas ton punching bag” s’est mise à me trotter dans la tête.» Sur papier, son frangin a été remplacé par «une tueuse en série qui s’en prenait à l’homme qui la maltraitait». «C’était plutôt amusant!»

«Prier des gens de nous laisser entrer dans leur coeur avec nos chansons et y rester pour la vie, c’est toute une requête! C’est pourquoi j’essaie d’être le plus sincère possible.» –Matt Shultz

Baignant dans des tons plus sixties et léchés que les précédentes offrandes du band, Tell Me I’m Pretty a été réalisé par le pote des gars, Dan Auerbach, avec qui ils ont souvent tourné. La moitié des Black Keys a laissé sa marque sur l’ensemble, officiant sporadiquement à la guit et au clavier. L’appel du titre, «Dis-moi que j’suis beau», est à la fois une critique de notre ère d’égoportraits et une phrase «totalement ironique, à la Stones ou à la New York Dolls».

Matt semble moins ironique, toutefois, lorsqu’il balance sur le solide morceau Trouble : «Got so much to lose, got so much to prove.» J’ai tellement à perdre, tellement à prouver. C’est vrai? Encore? Là? Maintenant? «J’ai toujours le sentiment de devoir prouver quelque chose. En fait, juste avant qu’on discute, je me demandais à quoi bon parler quand on n’a rien à dire? Pour se sentir exister?»

Mais si, visiblement, il fait attention à ses mots, sur scène, le chanteur de 32 ans se jette partout, se fait mal. On l’a vu grimper sur des haut-parleurs, puis plonger au sol, tête première. N’est-il pas tanné de devoir se montrer à la hauteur du mythe et surpasser ses propres folies? Il rit. «Des fois, j’suis fatigué! Il y a des soirs où c’est comme si le moindre mouvement qu’on exécute sur scène avait été écrit à l’avance et que tout tombait en place. Et puis, il y en a d’autres où les choses semblent forcées. Mais c’est toujours perçu différemment par les gens de l’extérieur.»

Ce qu’on perçoit, nous, c’est un musicien qui veut «établir un lien avec les autres». «Être honnête.» Sincère. On lui rappelle qu’à la sortie de Tell Me, il avait affirmé vouloir offrir un «son intemporel». Croit-il y être arrivé? «Hmm… répond-il, en se plongeant dans un de ces silences réflectifs dont il a le secret. Mon point de vue change sans arrêt avec le temps. Intemporel. Ça veut dire quoi? Peut-être rien.»

Cage the Elephant
Au Centre Bell mardi à 19 h
Avec Portugal. The Man et BRONCHO

http://www.dailymotion.com/video/x75c8r_cage-the-elephant-ain-t-no-rest-for_music

Un regard en arrière
Les musiciens de Cage the Elephant n’ont jamais caché leur admiration pour les Pixies. Leur album précédent, Melophobia, avait d’ailleurs bien macéré dans les influences des vétérans de Boston. Ici, ces dernières transparaissent plus discrètement. La manifestation la plus apparente? Trouble, sur laquelle Matt chante des «ouuuh, ouuuh», qui rappellent ceux de Kim Deal sur l’immortel classique Where Is My Mind.

C’est aussi sur cette même Trouble que Matt fait un clin d’œil au plus grand hit de Cage the Elephant, Ain’t No Rest For the Wicked (que les gamers ayant usé leur Boarderlands connaissent par cœur, puisque la pièce a servi d’intro au réputé jeu vidéo). Modifiant la formule, l’artiste clame désormais : «The wicked get no rest.» Une façon de saluer ceux qui suivent sa bande depuis le succès inespéré de cette chanson, en 2008? Ou plutôt, une façon de dire OK, oui, on a fait ce tube, on le sait. Maintenant, s’il vous plait, peut-on passer à autre chose? «Hmm… réplique-t-il. En fait, certains de mes artistes favoris (comme Bowie dans Ashes to Ashes) ont fait référence à leurs propres compositions dans leurs textes et j’ai toujours rêvé de faire la même chose! Mais on devait trouver le bon moment pour se permettre un truc pareil!» C’était là.

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