«Féministe pour homme»: assez fort pour elle, conçu pour lui
Sophie Cadieux fait partie de ces actrices qu’on va voir monologuer pendant une heure et demie sans inquiétude: elle sait livrer un texte avec justesse et remplir une scène à elle seule. Elle le prouve une nouvelle fois avec Féministe pour homme, un spectacle à la croisée entre la pièce de théâtre, le numéro d’humour, le manifeste… et la classe de Zumba!
Mis en scène par Alix Dufresne et adapté par la dramaturge Rébecca Déraspe d’un texte de la Française Noémie de Lattre, Féministe pour homme était de retour à l’Usine C ce mois-ci après y avoir été présenté brièvement à l’automne 2021. Maintenant, c’est une tournée à travers une trentaine de villes du Québec qu’entame ce solo.
Disons-le d’entrée de jeu: heureusement que c’est une adaptation! Sans rien enlever à la force de la pièce originale, il faut dire que le Québec, sur le plan du féminisme, est très loin de la France, où le harcèlement de rue est constant. Mais on a aussi des préoccupations qui nous sont propres, notamment quand il est question des disparitions de femmes autochtones.
Ainsi, on ratisse très larges dans les enjeux féministes: la façon dont on éduque les enfants selon le genre, les violences sexuelles, la pression de correspondre aux standards de beauté, les relations sexuelles et le mystérieux clitoris, les menstruations, la maternité, le vieillissement, la langue française construite par des hommes et ce bon vieux patriarcat sont tant de sujets abordés avec un humour franc, mais qui laisse aussi la place à de grands moments de drame qui poussent à la réflexion.
Sophie Cadieux, toujours aussi géniale, livre ce monologue en faisant à la fois de la Zumba en talons hauts, répondant à cette contrainte sociale qui demande aux femmes de modeler leur corps à celui des mannequins. On pardonne très facilement les quelques fois où elle s’accroche dans son texte ultra condensé d’informations qu’elle récite en offrant une performance très physique. D’ailleurs, le spectacle vaut le détour ne serait-ce que pour la voir danser, sauter et crier en tenant dans ses mains un modèle de clitoris auquel elle donne quelques bisous au passage.
Là où le spectacle étonne, c’est par sa capacité à voir ses angles morts. Parce qu’après un moment, on se dit que c’est bien beau tout ça, mais on a toujours bien devant nous une femme blanche, belle et privilégiée qui promeut un féministe peu intersectionnel. Eh bien, que nenni: toute une partie de Féministe pour homme s’attarde aux difficultés exacerbées que rencontrent les femmes racisées, en précarité financière, en situation de handicap, issues de la communauté 2SLGBTQIA+…
On prêche en terrain convaincu, c’est certain. Si le monologue s’adresse aux hommes dans son titre et son introduction, il ne vise aucunement à transformer des incels en féministes accomplis. Cela dit, n’y a-t-il pas quelque chose de jouissif, voire cathartique, que de collectivement envoyer chier les juges américains qui ont renversé Roe v. Wade? C’est avec un majeur en l’air qu’on vous répond: yes sir, madame!
La tournée de Féministe pour homme démarre le 1er février et est prévue jusqu’au 14 juin.