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Lettre ouverte de Marlene Jennings à l’intention du ministre Simon Jolin Barrette

Tribune libre

Hier a marqué le début des auditions de la Commission de la culture et de l’éducation de l’Assemblée nationale sur le projet de loi no 96, Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français. Ces auditions constituent un élément important de notre processus démocratique, bien que, malheureusement, seul un nombre limité de Québécois aient été invités à faire connaître leur point de vue sur ce qui représente la plus grande réforme de l’ordre juridique du Québec depuis la révolution tranquille.

Le Quebec Community Groups Network (QCGN), la voix des Québécois d’expression anglaise, a hâte de rencontrer les membres de la Commission le 28 septembre prochain et d’exprimer ses profondes inquiétudes à propos du projet de loi no 96. Toutefois, pour nous aider à nous préparer en vue des auditions, il serait utile que vous clarifiiez dans votre discours d’ouverture les enjeux fondamentaux liés au projet de loi, afin de nous permettre, à tous les autres Québécois et à nous, d’avoir une meilleure compréhension des fondements de certaines de vos dispositions clés de ce projet lourd de conséquences.

Notre point de vue sur le projet de loi no96

Le projet de loi no 96 est une mesure législative de grande portée. Il s’agit d’une réforme importante du système juridique du Québec. En effet, il modifie la Charte de la langue française (communément appelée la loi 101), 24 autres lois provinciales, un règlement ainsi que la Loi constitutionnelle de 1867. Comme l’a déclaré le QCGN, le projet de loi no 96 implique la violation la plus importante des droits de la personne de l’histoire du Québec, en supplantant la charte québécoise et la charte canadienne. Dans les faits, ce projet de loi crée une zone où la Charte ne s’applique pas au Québec, quant à une vaste gamme d’interactions entre les citoyens et l’État. Ce projet de loi a une incidence sur plusieurs secteurs d’activité : le commerce, l’emploi, l’éducation, l’accès aux services publics, l’expression dans plusieurs contextes et sur le fonctionnement du système juridique. Si l’on viole des droits qui seraient autrement protégés, les tribunaux ne pourront pas se pencher sur ces violations ni, le cas échéant, remédier à la situation au titre des chartes canadienne ou québécois.

Le projet de loi no 96 concerne nos valeurs ainsi que le Québec et le Canada dans lesquels nous voulons vivre. Le gouvernement du Québec propose actuellement de redéfinir le contrat social que nous avons conclu entre Québécois au cours des dernières décennies, de même que la relation existant entre le Québec et le Canada. Il s’agit d’un enjeu préoccupant pour l’ensemble des Québécois, qui mérite que l’on en débatte et que l’on en discute en profondeur. Dans l’examen de ce projet de loi, il est crucial d’entendre les diverses voix du Québec et de tenir compte de ce qu’elles vont exprimer. Nous avons besoin de prendre le temps de créer un consensus sur le type de société dans laquelle nous souhaitons vivre; nous continuons donc de vous exhorter à proroger les travaux de la Commission de la culture et de l’éducation, afin qu’un nombre plus élevé de Québécois aient la possibilité de participer à cet important débat sur une politique publique et de s’y engager.

Compte tenu de la décision du gouvernement de restreindre la participation aux auditions à quelque 50 groupes et personnes, le QCGN a commandité ses propres audiences au cours de la période comprise entre les 9 et 17 septembre derniers. Ces audiences ont réuni des représentants de divers secteurs de la communauté anglophone du Québec et leur ont offert une tribune, où ils ont pu faire valoir leurs points de vue sur le projet de loi no 96. Nous avons entendu des Québécois issus dedivers horizons, comme des parties prenantes du secteur de la santé et des services sociaux, des représentants du milieu des arts et de la culture, des dirigeants de milieu entrepreneurial et du milieu des affaires, des personnes actives dans le milieu del’éducation, des représentantes des groupes de défense des droits des femmes ainsi que d’autres personnes s’exprimant au nom de communautés sous représentées. Nous avons aussi reçu des mémoires d’éminents juristes et universitaires, dont Gregory Borden et Azim Hussein, de la Coalition Inclusion Québec, Michael Bergman, Pearl Eliadis, Julius Grey, Robert Leckey, de même que des représentants de l’Association de droit Lord Reading.

Nous allons présenter les observations que nous avons nous-même reçues, afinque la Commission prenne connaissance de ces opinions importantes et crédibles.

Nos questions

Je suis convaincue que vous allez être heureux d’apprendre qu’il existe un large consensus au sein de la communauté anglophone quant à l’appui apporté à la langue française comme langue commune des Québécois. Comme l’a exprimé de manière tellement éloquente Christopher Neal, de la Quebec Writers’ Federation, « [le] projet de loi no 96 est contre-productif en ciblant les Québécois d’expression anglaise, qui, en apprenant et en parlant le français, ainsi qu’en en faisant la promotion, ont démontré qu’ils étaient des alliés. Les Québécois d’expression anglaise ont conçu des programmes d’immersion française, auxquels sont maintenant inscrits un demi-million d’élèves dans l’ensemble du Canada. Non seulement partageons-nous l’amour de la langue française avec eux, mais nous nous investissons aussi personnellement pour assurer la survie du français. »

C’est dans ce contexte, alors que commenceront bientôt les auditions de l’Assemblée nationale, que nous vous exhortons à préparer le terrain en abordant les questions fondamentales suivantes :

  1. Pourquoi procède-t-on maintenant à une révision en profondeur de la Charte de la langue française —en pleine pandémie, alors que la population se préoccupe surtout d’enjeux relatifs à la santé et à l’économie?
  2. Bien qu’il soit évident que le projet de loi no 96 met à mal la paix sociale relative à la question linguistique qui existe au Québec depuis plusieurs décennies, aucun élément de preuve n’a encore été présenté sur la manière dont les mesures précises prévues dans ce projet de loi vont améliorer la situation du français au Québec. Comment ce projet de loi va-t-il améliorer la situation du français au Québec? Pourquoi ce projet de loi est-il nécessaire? Quels aspects de la version actuelle de la Charte de la langue française ne peuvent pas protéger la langue française, et comment le projet de loi no 96 clarifie-t-il ces enjeux?
  3. Pourquoi le Québec s’apprête-t-il à renoncer à sa fière tradition en matière de droits de la personne ainsi qu’aux normes internationales sur la question, qu’il a adoptées, et pourquoi estime-t-il nécessaire d’avoir recours, à titre préventif, à la disposition de dérogation, afin de passer outre les chartes des droits et libertés québécoise et canadienne?
  4. Pourquoi le Québec donne-t-il de nouveaux pouvoirs exécutifs à la Charte de la langue française, y compris de nouveaux pouvoirs liés à des perquisitions et à des contrôles qui ne seront pas assujettis à la disposition des chartes canadienne et québécoise prévoyant que chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives?
  5. Pourquoi le projet de loi no 96 ajoute-t-il de nouvelles protections relatives à la divulgation, qui ne seront pas visées par la protection des renseignements personnels et du secret professionnel?
  6. Pourquoi le projet de loi no 96 ajoute-t-il de nouvelles sanctions qui ne seront pas visées par l’interdiction des peines cruelles et inusitées?
  7. Dans une démarche législative sans précédent, le projet de loi no 96 est censé modifier la Loi constitutionnelle de 1867, ce qui soulève de nombreuses questions. Plus précisément, quels principes vont s’appliquer au texte proposé et quelles sont les conséquences de ces modifications, plus particulièrement en ce qui a trait à la communauté anglophone du Québec?
  8. Est-ce que le projet de loi no 96 restreint l’appartenance à la communauté anglophone du Québec aux seules personnes qui détiennent une déclaration d’admissibilité à recevoir l’enseignement en anglais?

Les questions que nous posons sont fondamentales pour nous assurer que les Québécois ont une bonne compréhension des objectifs du projet de loi no 96, et vos réponses aideront à définir un cadre de discussion sur le Québec que nous voulons bâtir tous ensemble. Alors que nous nous préparons en vue de la présentation que nous allons faire le 28 septembre prochain et que nous nous attendons à poursuivre notre dialogue avec tous les Québécois, jetiens à vous rappeler que, dans sa déclaration de principes, le QCGN s’engage à respecter le français en tant que langue officielle du Québec. La version actuelle de la Charte de la langue française engage l’Assemblée nationale à poursuivre les objectifs visés par cette loi « dans un esprit de justice et d’ouverture, dans le respect des institutions de la communauté québécoise d’expression anglaise et celui des minorités ethniques, dont elle reconnaît l’apport précieux au développement du Québec » qu’elle reconnaît déjà.

Dans une perspective d’avenir, nous espérons nous fonder sur ces principes directeurs à l’appui d’un Québec inclusif, où le français est la langue commune.

Le Quebec Community Groups Network (www.qcgn.ca) est un organisme à but non lucratif qui rassemble des organismes communautaires d’expression anglaise des quatre coins du Québec. En tant que centre d’expertise et d’actions collectives fondées sur des données probantes, il cerne, aborde et explore les enjeux stratégiques qui ont des répercussions sur le développement et le dynamisme de la communauté québécoise d’expression anglaise. Le QCGN favorise également le dialogue et la collaboration entre ses organisations membres, des particuliers, des groupes, des institutions et des dirigeants de la communauté.

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