Des Musulmanes veulent s’exprimer
LETTRE OUVERTE – Des femmes de culture musulmane du Canada et d’ailleurs se sont mobilisées sur les réseaux sociaux, en ce début d’année, pour se faire entendre. Elles disent se faire accuser d’islamophobie lorsqu’elles racontent leurs histoires. Elles affirment craindre l’idéologie islamique et demandent d’être entendues. La campagne #LetUsTalk, devenue virale partout en occident, les a incitées à partager des photos d’enfance en hijab forcé et à s’exprimer sur l’idéologie islamique.
Ce mouvement, initié par la canadienne Yasmine Mohammed Unveiled: How Western Liberals Empower Radical Islam) et la militante politique américaine d’origine iranienne Masih Alinejab, origine de l’utilisation d’une photo d’une fillette d’à peine 5-6 ans portant le hijab en couverture du Journal de l’Association médicale canadienne (CMAJ) en novembre dernier. Le chirurgien pédiatrique Dr. Sherif Emil a alors dénoncé l’utilisation de cette photo dans une lettre intitulée «N’utilisez pas un instrument d’oppression comme symbole de diversité et d’inclusion» publié par le Journal. Le Conseil national des musulmans canadiens et le Conseil consultatif musulman du Canada ont jugé qu’il s’agissait-là d’islamophobie, réclamé des excuses de la part du journal et appelé à des sanctions contre le chirurgien pédiatrique.
À la suite de cette demande publique, le journal a retiré la lettre du Dr. Emil et publié une lettre d’excuses faisant valoir qu’il s’agissait d’une erreur puisque le contenu de ne cadrait pas avec la ligne éditoriale du CMAJ. Cette réaction en a indigné plusieurs.
L’exemple du traitement subi par le Dr. Emil pour avoir dénoncé certaines pratiques religieuses sexistes démontre hors de tout doute l’importance de s’assurer que la critique des religions soit toujours permise au Canada. La critique des pratiques religieuses sexistes est indispensable pour l’avancement des droits des femmes et le respect de l’égalité entre les sexes au Canada.
Le dilemme canadien
Au Canada, le multiculturalisme fait partie de la Constitution canadienne. Selon l’article 27, «toute interprétation de la présente charte doit concorder avec l’objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens.»
Cependant, la même constitution protège aussi l’égalité entre les sexes en vertu de l’article 28 selon lequel, «indépendamment des autres dispositions de la présente charte, les droits et libertés qui y sont mentionnés sont garantis également aux personnes des deux sexes.»
Ainsi, deux courants s’affrontent.
D’une part, le Canada anglais considère prioritaire de faire la promotion de «la diversité et l’inclusion» quitte, semble-t-il, à fermer les yeux sur la promotion des pratiques religieuses sexistes qui nuisent à l’égalité entre les sexes. Rappelons que les textes des principales religions du monde comportent des propos qui dénigrent et prônent la haine contre les femmes et autres groupes identifiables. Or le Canada offre, dans son code criminel, une défense pour quiconque fomente volontairement la haine contre un groupe identifiable «s’il a, de bonne foi, exprimé une opinion sur un sujet religieux ou une opinion fondée sur un texte religieux auquel il croit, ou a tenté d’en établir le bien-fondé par argument». De plus, Ottawa a adopté, en 2017, une motion dénonçant l’islamophobie. Même si elle n’est pas juridiquement contraignante, cette motion reflète l’état d’esprit du Canada anglais à l’égard de la critique des religions.
D’autre part, le Québec tente une approche plus républicaine avec sa timide Loi sur la laïcité de l’État. Adoptée en 2019, cette loi interdit le port de signes religieux pour les employés de l’État en position d’autorité. Elle se veut également le reflet de l’importance que la nation québécoise accorde à l’égalité entre les femmes et les hommes. Cette loi, largement dénoncée au Canada anglais, fait l’objet d’une importante contestation judiciaire.
Le rôle des médias
Les accusations d’islamophobie au Canada ont pour effet de bâillonner la critique des religions. Les Canadiennes et les Canadiens de toutes origines ont le droit d’exprimer leur opinion et de critiquer des idéologies, surtout lorsqu’elles en sont victimes. Cela prend un courage énorme pour dénoncer le patriarcat religieux. Ceci leur vaut souvent d’être reniés par leur famille, d’être accusés d’apostasie et de recevoir ainsi des menaces de mort. Le succès de la campagne #LetUsTalk fait écho à la réticence des journaux canadiens à ouvrir leur tribune aux Canadiennes et Canadiens de culture musulmane qui dénoncent les pratiques religieuses sexistes.
Il est grand temps que les choses changent pour l’atteinte d’une véritable égalité entre les femmes et les hommes, de toutes origines ou confessions religieuses, au Canada.
Marie-Claude Girard