Qui veut la peau d’Occupation double?
La seule conclusion claire que j’ai pu tirer en écrivant un essai de 200 pages sur la cancel culture, c’est qu’on n’a pas de contrôle individuel sur ce phénomène collectif.
La cancel culture, c’est quand une personne, une organisation ou un groupe d’individus sont mis au ban de la société après avoir commis des gestes jugés répréhensibles. C’est Éric Salvail qui ne fait plus de showbiz, c’est Maripier Morin qui a perdu tous ses contrats à l’été 2020, c’est deux gars en Martinique qui se sont fait montrer la porte d’OD après avoir créé un climat d’intimidation sous le regard d’un demi-million de téléspectateurs.
On m’a souvent demandé si cette forme de justice populaire n’était pas en train de se substituer à la vraie justice, celle qui procède en bonne et due forme, qui permet aux accusés de se défendre, qui tient compte de la présomption d’innocence. La même justice qui, rappelons-le, abandonne tellement de victimes. Chaque fois qu’on me pose la question, c’est avec un soupçon de mépris et un léger ton accusateur, comme si j’étais personnellement responsable, avec ma gang de wokes, d’avoir créé ce nouveau tribunal populaire sans foi ni loi. Or, j’y reviens, personne n’a de contrôle individuel sur le phénomène collectif qu’est la cancel culture.
Il s’agit d’un mouvement de masse, fait de réactions en chaîne, au sein duquel personne ne peut être jugé imputable à 100%.
Certaines personnes s’indignent. Des discussions peuvent avoir lieu. On demande des comptes. Des consommateurs se mettent à pointer du doigt les commanditaires associés à l’objet d’indignation. Certains d’entre eux prennent peur et fuient la controverse comme la peste. D’autres suivent. Le bateau prend l’eau, le Titanic coule. Et quand le Titanic coule, il est souvent trop tard pour les excuses, les prises de conscience et les réparations demandées en premier lieu.
Ce phénomène est complètement contreproductif.
L’idée de tenir une personne responsable de ses gestes n’est pas complètement dépourvue d’intérêt. Avant la cancel culture, un Gilbert Rozon reconnu coupable d’agression sexuelle par la loi pouvait poursuivre sa carrière publique sans que personne s’en indigne, et continuer d’abuser de son pouvoir.
Les réseaux sociaux nous ont permis de pointer du doigt des travers de la société, comme les agressions sexuelles avec le mouvement #MoiAussi, ou le racisme avec #BlackLivesMatter. Critiquer, discuter, demander des comptes, rendre certaines personnes imputables, pousser à l’examen de conscience, tout ça fait partie d’une saine gestion du vivre-ensemble.
Mais on l’échappe collectivement lorsqu’on reproduit les violences reprochées comme ça a été le cas avec les évincés d’OD, ou qu’on crée un climat empêchant toute réparation, comme le font certains partenaires financiers en abandonnant la production sans lui permettre de réparer les torts qu’on lui reproche.
Bien sûr, les commanditaires font eux-mêmes l’objet de pressions de la part de certains consommateurs qui exigent que ceux-ci se dissocient de la controverse. Je demande souvent à ces grands intransigeants l’objectif qu’ils souhaitent atteindre avec ces ultimatums. Gagner? Obtenir vengeance? Voir des têtes tomber? La disparition du mal sur la terre? Aucune de ces options ne permet de réelle transformation de société.
Dans toute cette controverse, certains partenaires d’Occupation double ont réussi à garder la tête froide et proposé de faire partie de la solution. Après tout, ils se sont associés à l’émission qui promettait bisbille et pagaille. La moindre des choses serait de participer à définir la fine ligne entre cette promesse et l’abus.
C’est ce qu’a fait par exemple le groupe Geloso en soutenant «cette émission pour prévenir l’intimidation».
Pour être honnête, je ne comprends pas tout le tapage médiatique entourant les bullies d’Occupation double. Ma théorie loufoque est que la saison, moins enlevante que les précédentes, a conduit le public à créer son propre «drama». On aime le «tea» comme disent les jeunes.
Personnellement, j’aime Occupation double parce qu’elle nous permet justement de voir les travers de la société sous la loupe et d’en discuter. J’aime que l’on montre les manifestations de dynamiques toxiques – pourvu bien sûr que l’on soutienne ceux qui en font les frais – ne serait-ce que pour pouvoir les critiquer. Ces réalités existent, et la production nous les montre en prenant bien soin – par le montage, la musique, etc. – de nous indiquer qu’elles sont problématiques. Le public a même son mot à dire en plébiscitant le couple gagnant à la fin! Peut-être que les prochaines saisons pourraient inviter le public à voter pour évincer les candidats à son gré au fur et à mesure.
Chose certaine, moi, je n’aurais pas «annulé» ces participants, chamboulé toute une saison ou demandé la tête de la prod pour des choses qui se discutent entre adultes raisonnables. Mais je vous rappelle que comme vous, je n’ai aucun contrôle individuel sur le phénomène collectif qu’est la cancel culture.