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Donner un bec à ses proches sur la bouche ça vient d’où ?

Une mère embrasse son jeune enfant sur la bouche.
Une mère embrasse son jeune enfant sur la bouche. Photo: iStock

Les fêtes riment avec «moyens partys» cette année. Si on a hâte de se prendre dans les bras, d’autres ont hâte de se donner un bec… sur la bouche. Voici d’où vient cette tradition. 

Une becquée préhistorique 

Bien avant que le premier ministre du Québec, François Legault, embrasse sa sœur sur les lèvres lors de son élection, l’habitude de se bécoter entre parents et enfants existait depuis la préhistoire, estime l’anthropologue Isabelle Matte.  

«Il fallait que nos ancêtres, les grands singes et les hominidés, mâchent la nourriture avant de la donner aux enfants. Un peu comme la becquée des oiseaux», indique-t-elle. 

Bien entendu, le baiser a perdu son sens plus «survivaliste» dans les siècles qui ont suivi et est devenu plus «chaleureux».  

Selon Mme Matte, le baiser amical tel qu’on le connaît aujourd’hui aurait été «propagé» par la culture latine partout en Europe, lors de l’Empire romain. 

Les débuts du christianisme raviveront la pratique après la chute de Rome au 4e siècle. On assiste alors à l’invention du «baiser de paix», une manière de se saluer.  

Selon Mme Matte, le baiser serait donc quelque chose de «tout à fait chrétien» à la base. Les rapprochements entre hommes et femmes étaient beaucoup plus fréquents à cette époque. 

«Les premiers disciples de Jésus prescrivaient le baiser sur la bouche entre chrétiens, rappelle-t-elle. C’était une marque de reconnaissance.» 

Les premiers colons de la Nouvelle-France arrivant au 16e siècle propageront ainsi cet héritage culturel latin ici. 

Aujourd’hui, en Europe, les rites culturels relatifs au baiser varient selon les pays ou les régions. Par exemple, en Méditerranée, on aime s’embrasser entre hommes et, en France, on se fait la bise!  

Un bisou tabou 

Mais alors, si nos ancêtres s’embrassent depuis des millénaires, pourquoi cette pratique choque encore en 2021, alors que notre société est plus hypersexualisée que jamais? 

Tout d’abord, parce que la psychanalyse moderne l’associe à un geste qui démontre un sentiment «amoureux» entre l’enfant et le parent, ce qui peut s’apparenter à l’inceste. Mais ce n’est pas la seule raison.  

L'anthropologue Isabelle Matte, d'Anthropologue en liberté.
L’anthropologue Isabelle Matte, d’Anthropologue en liberté.

D’après Mme Matte, cela vient aussi de mouvements catholiques plus conservateurs du 16e siècle et de la montée du puritanisme protestant anglais au 19e siècle. Ces deux courants répriment alors certaines pratiques «associées» à la s6exualité, dont le baiser chrétien.  

Et le bisou ne fait pas l’unanimité partout dans le monde, d’ailleurs! Selon Mme Matte, on estime que 50% des cultures du globe ne s’embrassent pas; ni entre partenaires ni entre proches!  

Un bec qui divise le Québec 

Même aujourd’hui, des siècles après ces événements historiques, les différentes perceptions du bec divisent encore notre société.  

Par exemple, en 2006, l’ex-premier ministre du Canada Stephen Harper avait créé un tollé en donnant une poignée de main à son fils… plutôt que de l’embrasser sur la joue. La population du Québec s’en était particulièrement offensée, jugeant ce geste «froid et formel», se rappelle Mme Matte. 

«Le puritanisme et le protestantisme sont encore présents de façon traditionnelle chez les anglophones», souligne-t-elle. 

Toutefois, à l’inverse, l’anthropologue rappelle que la province a été scandalisée lorsque  François Legault a embrassé sa sœur sur la bouche, il y a trois ans.

Cette réaction paradoxale laisse l’anthropologue perplexe. Selon elle, la Belle Province a toujours des origines culturelles latines très dominantes… et donc chaleureuses.  

Il ne faut pas s’imaginer que les choses ont «totalement changé», estime Mme Matte.  

Qu’on soit pour ou contre, les Québécois.es ont toujours la passion d’embrasser. On ne peut pas le nier! 

 «Depuis longtemps les gens s’approchent plus et se touchent plus ici que dans le reste de l’Amérique du Nord», observe Mme Matte. 

Comme le chante bien le groupe québécois 2Frères, ce n’est pas pour rien qu’à chaque fois qu’on se voit «nous autres on se prend dans nos bras »… ou par le bec. 


Un après-pandémie sans baiser? 

La pandémie changera-t-elle notre désir de nous rapprocher ou de nous embrasser?  

«Oui, ça se fait déjà. C’est déjà le cas», répond Mme Matte.  

Une telle privation de bisous s’est même déjà produite dans l’histoire, rappelle-t-elle. À la suite de la grande peste de Londres (1665-1666), les habitant.e.s ont cessé de s’embrasser. 

La grande peste de Londres, en 1665.
La grande peste de Londres, en 1665.

Mais pendant le confinement mis en place à cause de la COVID-19, la présence physique a été totalement proscrite, et ce, pendant plus longtemps que la peste de Londres. 

Résultat? Certains de nos rituels sociaux ont été «brisés» puisqu’ils n’ont pas été assez pratiqués, comme celui de la bise, évidemment. 

«Un an et demi, c’est assez pour développer une nouvelle habitude, ça va dépendre de la personne ou du milieu», explique Mme Matte. 

D’après Mme Matte, il est possible que ce changement dure quelques années… ou même toute une génération, car la pandémie n’est pas encore terminée. 

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