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Jeûne intermittent et sport: une fausse bonne idée?

Photo: iStock
Bénédicte L. Tremblay et Catherine Laprise, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) - La Conversation

Le jeûne intermittent gagne de plus en plus en popularité et fait aussi des adeptes parmi les sportifs.

Il consiste à se priver de nourriture pendant des périodes plus ou moins prolongées. En dehors de ces périodes, il n’y a aucune restriction quant aux types et à la quantité d’aliments ingérés. Il existe plusieurs variantes du jeûne intermittent dont, entre autres, le jeûne alternatif (une journée sur deux), le jeûne modifié (réduction de l’apport calorique deux jours non consécutifs par semaine) et l’alimentation limitée dans le temps (par exemple, jeûne de 18 h à 10 h).

Quels sont les effets sur les performances sportives ? Quels sont les avantages, les aspects pratiques et les risques à considérer ?

Je suis diététiste-nutritionniste, détentrice d’un doctorat en nutrition de l’Université Laval, et actuellement stagiaire postdoctorale à l’Université du Québec à Chicoutimi. Cet article a été rédigé en collaboration avec Geneviève Masson, nutritionniste du sport, qui conseille des athlètes de haut niveau au Canadian Sport Institute Pacific et enseigne au Langara College de Vancouver.

Des effets variables sur les performances sportives

Lors d’une activité physique, le corps utilise principalement ses réserves de glucides, appelées glycogène, comme source d’énergie. En situation de jeûne, les réserves de glycogène diminuent rapidement et le corps augmente l’utilisation des lipides afin de subvenir à ses besoins énergétiques.

En situation de jeûne, les réserves de glycogène diminuent rapidement et le corps augmente l’utilisation des lipides afin de subvenir à ses besoins énergétiques. (Shutterstock)

La pratique du jeûne intermittent a été associée à une diminution de la masse grasse et au maintien de la masse maigre chez les sportifs. Toutefois, ces changements ne correspondent pas toujours à une amélioration de la performance sportive, comme en font foi les résultats contradictoires de plusieurs études.

Plusieurs études rapportent une capacité aérobie, mesurée par un test de VO2 max, inchangée après le jeûne intermittent chez des cyclistes d’élite et des coureurs de fond et de demi-fond bien entraînés. Chez des coureurs entraînés, il n’y avait aucun effet sur le temps de course (10 km), le niveau d’effort perçu et la fréquence cardiaque.

Par ailleurs, la fatigue perçue et les douleurs musculaires étaient augmentées chez des cyclistes entraînés pendant le ramadan, ce qui peut être partiellement dû à la déshydratation puisque les liquides sont également restreints lors de cette période, où on ne peut rien consommer du lever au coucher de soleil.

Sports de puissance

Dans un contexte de jeûne, les basses réserves de glycogène (glucides) peuvent limiter l’exécution d’efforts intenses répétés. D’ailleurs, il y avait diminution de la vitesse des sprints répétés chez des adultes actifs après un jeûne de 14 heures par jour durant trois jours consécutifs.

La puissance et la capacité anaérobie, évaluées à l’aide du test de Wingate (test sur vélo stationnaire) était diminuée après dix jours de jeûne intermittent chez des étudiants actifs, alors qu’elle était augmentée après quatre semaines dans une autre étude également chez des étudiants actifs.

Entraînement de la force

Des hommes et des femmes suivant un programme de musculation avaient des gains de masse musculaire et de force similaires lorsqu’ils pratiquaient un jeûne intermittent comparativement à une diète contrôle. Il n’y avait aucune différence significative dans la puissance musculaire entre les hommes actifs qui pratiquaient, ou non, le jeûne intermittent. Toutefois, une étude a rapporté une augmentation de la force et de l’endurance musculaire chez les jeunes adultes actifs après huit semaines d’entraînement en musculation combiné avec le jeûne intermittent.

Ainsi, les résultats varient beaucoup d’une étude à l’autre et sont influencés par plusieurs facteurs, dont le type de jeûne et sa durée, le niveau des athlètes, le type de sport, etc. De plus, très peu d’études ont été réalisées chez les femmes et l’absence de groupe contrôle dans la plupart des études ne permet pas d’isoler l’effet du jeûne intermittent.

Pour l’instant, il n’est donc pas possible de statuer sur l’efficacité du jeûne intermittent à améliorer les paramètres liés à la performance sportive.

Les effets du jeûne intermittent sur les performances sportives, suivant l’état des connaissances actuelles. (Bénédicte L. Tremblay)

S’alimenter avant, et après l’entraînement

Le sportif qui désire recourir au jeûne intermittent doit tenir compte de plusieurs considérations pratiques. Son horaire d’entraînement est-il compatible avec cette approche alimentaire ? Par exemple, la période pendant laquelle il est autorisé à manger lui permet-elle de s’alimenter suffisamment avant l’exercice physique ou de récupérer adéquatement après l’entraînement ?

Et, aspect non négligeable, qu’en est-il de la qualité alimentaire, sachant qu’un apport suffisant en protéines est essentiel à la récupération et au maintien de la masse maigre afin de limiter les impacts négatifs sur la performance.

S’interroger sur les impacts — et les raisons — du jeûne

Le jeûne intermittent pourrait induire un déficit énergétique trop important pour certains athlètes aux besoins énergétiques élevés, dont les athlètes de sports d’endurance (course à pied, vélo, ski de fond, triathlon, etc.) en raison du volume d’entraînement. Ils peuvent alors souffrir du déficit énergétique relatif dans le sport, qui est un syndrome qui affecte notamment la sécrétion d’hormones, l’immunité, le sommeil et la synthèse des protéines. Si le déficit se prolonge, des conséquences néfastes sur la performance sportive s’ensuivent.

Le jeûne intermittent pourrait induire un déficit énergétique trop important pour certains athlètes aux besoins énergétiques élevés, dont les athlètes de sports d’endurance en raison du volume d’entraînement. (Geneviève Masson), Author provided

Il est par ailleurs primordial de s’interroger sur ce qui motive l’adoption d’une pratique alimentaire aussi stricte que le jeûne intermittent. Certaines personnes le font pour des considérations religieuses comme le ramadan. D’autres sont motivées à adopter des comportements de contrôle du poids dans l’espoir d’atteindre un corps « idéal » selon des normes socioculturelles.

Une étude récente a démontré que la pratique du jeûne intermittent au cours des 12 derniers mois était significativement associée à des comportements associés aux troubles alimentaires (suralimentation, exercice physique compulsif, vomissements et utilisation de laxatifs). Bien que cette étude ne permette pas de déterminer si c’est le jeûne qui provoque les troubles alimentaires ou si ce sont les troubles alimentaires qui mènent au jeûne, elle met en lumière un risque associé de cette pratique.

Une étude récente a démontré que la pratique du jeûne intermittent au cours des 12 derniers mois était significativement associée à des comportements associés aux troubles alimentaires. (Shutterstock)

Enfin, il faut aussi s’interroger sur les impacts du jeûne intermittent sur les interactions sociales. L’horaire du jeûne pourrait limiter la participation à des activités sociales impliquant de la nourriture. Quel est le risque d’influencer négativement les comportements alimentaires des autres membres de la famille, notamment les enfants ou les adolescents qui voient leurs parents s’abstenir de manger et sauter des repas ?

Est-ce une bonne idée ou une fausse bonne idée ?

Avec des données scientifiques aussi contradictoires, il n’est pas possible pour l’instant de se prononcer sur les effets du jeûne intermittent sur les performances sportives.

D’autres études sont nécessaires avant de pouvoir recommander cette pratique, notamment pour les athlètes aguerris. Par ailleurs, les effets négatifs potentiels sur d’autres aspects de la santé, dont les comportements alimentaires et les interactions sociales, ne sont pas négligeables.

Bénédicte L. Tremblay, Nutritionniste et stagiaire postdoctorale, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) et Catherine Laprise, Professeur UQAC,Co-titulaire de la Chaire de recherche en santé durable du Québec et Directrice du Centre intersectoriel en santé durable de l’UQAC, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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