Le génie et l’idiot
Nous portons tous des lunettes qui déforment notre vision des choses.
La plupart des gens appellent cela «parti pris» ou «préjugé», mais pour les psychologues, il s’agit de schémas et de croyances de base. Habituellement, nous considérons le parti pris comme quelque chose qui influe sur notre façon de voir les autres. Mais cela peut aussi influencer la façon dont nous nous voyons.
Imaginons deux comptables de même compétence dans deux entreprises bien gérées. L’un d’eux se croit un génie, alors que l’autre se sent comme un imposteur. Qu’arriverait-il s’ils préparaient une feuille de calcul comportant une perte inexpliquée d’un million de dollars?
Eh bien, le génie pourrait dire à son patron paniqué de vérifier les chiffres qui lui ont été fournis. Il ne remettrait jamais en question son propre travail. La première chose que ferait l’imposteur serait de vérifier son travail, car il tente toujours de compenser pour ce qu’il perçoit comme des lacunes.
Comment croyez-vous que le génie réagirait si on lui mettait sous le nez une erreur qu’il aurait commise? Il dirait probablement : «Qui pourrait bien travailler, avec toutes ces interruptions?», ou : «C’est une simple erreur que j’aurais décelée rapidement.» Autrement dit, son gros ego déforme ce qu’il voit. Son erreur est rapidement attribuée à des facteurs externes comme un logiciel désuet ou le fait d’être dérangé par des collègues. S’il ne peut trouver quelqu’un à blâmer, il diminuera l’importance de l’erreur. Il continuera à se croire brillant.
Si le patron allait voir le comptable «imposteur» pour le prévenir qu’on lui avait donné les mauvais chiffres et lui disait «Nous avons corrigé notre erreur et tout s’équilibre. Beau travail! Merci!», comment réagirait le comptable?
Il y a de grandes chances qu’il se remette tout de même en question. Il pourrait se dire «Je n’ai même pas vérifié les chiffres. Quel idiot!» Ou alors : «C’était une simple feuille de calcul. Un âne pourrait le faire.» Autrement dit, l’individu qui a une faible estime de soi trouvera le moyen de se blâmer pour l’erreur d’autrui, ou diminuera l’importance de son bon travail. Il continuera de se croire idiot.
Tous les préjugés se confirment d’eux-mêmes. Ce sont les filtres qui déforment notre façon de voir les choses. Nos préjugés à l’égard des autres alimentent l’intolérance. Appliqués à nous-même, ils alimentent l’ego du «génie» et le syndrome de l’imposteur chez l’«idiot».