Réal Migneault, une ferme à la place de la pelouse
Depuis trois ans, Réal Migneault a développé sa ferme de rue sur le bord du trottoir, rue Saint-Denis, à Ahuntsic. Il propose ses tomates, concombres, courgettes et petits fruits cultivés naturellement, du champ à la marmite. Le projet a pris cette année une proportion inattendue.
En 2019, vous aviez transformé votre jardin en cour avant en exploitation agricole. Où en est le projet maintenant?
Nous avons maintenant 6000 pieds carrés approximativement pour les légumes à haute rotation à [côté de l’église] Saint-Jude. Il n’y aura pas de vente là-bas, mais les gens peuvent faire un don pour aider le projet. On va produire aussi sur la rue Saint-Denis, les clients peuvent venir s’approvisionner sans aucun problème. On a aussi un partenariat avec Rona Major, le quincailler du quartier, où on aura notre comptoir de légumes. Les gens peuvent venir s’acheter un marteau et une salade.
Des légumes dans une quincaillerie! C’est original.
Avec Rona Major, on va plus loin. Il a décidé de s’approvisionner chez nous pour tous ses semis de légumes et de fleurs comestibles qui seront en vente chez lui. C’est une première en agriculture urbaine à Montréal. J’espère que cela va envoyer un message aux autres quincaillers ou aux épiceries pour faire de la place aux produits locaux.
La ferme de rue s’est trouvé des alliés?
Le but est de faire une chaine d’impacts dans toutes nos activités et cela profite à la communauté et à tous les acteurs de la chaine. Par exemple avec Jeunes au travail [le nom de la ferme de Laval où il fait pousser ses semis], c’est l’insertion professionnelle de personnes qui étaient décrocheurs et qui sont maintenant en formation professionnelle.
Leur ferme est certifiée biologique. Ils sont donc en mesure d’apprendre immédiatement comment faire de l’agriculture et produire des semis bio. Pour nous, c’est un très gros avantage. Les activités sur la ferme de rue ne sont pas certifiées bio, mais les semis et les semences le sont dans la très vaste majorité.
Mais ce sont vos semences?
C’est moi qui achète les semences. Nous travaillons en partenariat et nous sommes à moins de 10 km du point où ça va être vendu. Les jeunes vont être formés. Éventuellement, ils pourraient devenir des employés chez nous, ensuite.
Jusqu’à quel point vos produits sont-ils locaux?
Parmi nos fournisseurs de semences, il y a Terre promise qui est une excellente semencière qui a ses bureaux à Ahuntsic. D’autres viennent d’ailleurs au Québec: les fraises sont de Louiseville. Quelques-unes viennent de l’Ontario et, dans une très faible proportion, des États-Unis, à cause des ruptures de stock un peu partout.
Qu’est-ce que proposera la ferme cette année?
Plus d’une centaine de variétés. Nous avons atteint le million de semences achetées. On a 54 catégories de légumes, 25 de fines herbes, 28 variétés de tomates ancestrales, 25 de piments forts pour les amateurs.
On a 36 mellifères comestibles comme les tagettes, les marigolds, les zinnias qui sont délicieuses. Les gens les connaissent moins. Les papillons les aiment bien. On met aussi beaucoup l’accent sur des variétés indigènes du Québec comme l’agastache, l’angélique ou le gingembre sauvage. Des choses que les gens ne font pas pousser facilement et qu’on gagne à découvrir. Beaucoup de produits qu’on ne trouve pas dans les grandes surfaces.
Cette expansion est aussi une preuve de succès. À quoi l’attribuez-vous?
Notre grand-avantage, c’est que nous sommes sur la rue, pas sur un toit. Donc en plus d’avoir accès à la nourriture sur le coin de la rue, les gens peuvent aussi venir demander comment on fait pousser un plant de tomate ou comment on traite un concombre.
Effectivement, vous devez autant discuter avec les curieux que vous ne vendez de légumes?
Cela fait partie de l’ADN du projet, répondre aux clients qui ont des questions. À la limite, on organisera des périodes de visites. On va avoir aussi cinq employés, grâce à Emploi été Canada, et plusieurs bénévoles.
Notre objectif, ce n’est pas de rendre les gens dépendants à notre projet, mais qu’ils deviennent autonomes. Je suis heureux de vendre des tomates, mais je le suis davantage en voyant des gens partir avec le plant de tomates.
Si tout le monde se met à planter ses légumes, c’est la faillite pour vous?
Non. Cela est aussi profond que développer le modèle économique post-COVID, dont on parle tellement. Il sera plus solidaire, plus prospère, plus vert. Avec un tout petit projet, on arrive à l’échelle locale à défoncer des barrières. On n’imaginait pas que l’agriculture urbaine puisse faire une percée dans un magasin.
Pensez-vous que les fermes de rues vont se multiplier ?
C’est comme cela que la solution se construira collectivement, sinon on ne s’en sort pas. En ce moment, on est devant des restrictions partout. Il faut réduire nos déplacements, mettre des masques, moins d’utilisation de l’automobile. L’agriculture urbaine c’est le contraire. Faites-en plus et vous allez trouver du bonheur dans la solution. En plus, c’est une solution qui se mange.