Molière en québécois
Le théâtre Denise-Pelletier présente du 16 mars au 8 avril une version métaphorique et contemporaine du classique de Molière, L’Avare.
Pour le metteur en scène Claude Poissant, c’est surtout une histoire de première: première pièce de l’illustre français, première fois que l’une d’entre elles se joue avec l’accent d’ici, mais aussi première pièce qu’il a vu de sa vie.
«Je l’ai vue à 16 ans avec mon professeur de français qui nous en parlait au travers des histoires de couchette avec Madeleine Béjart», se remémore avec malice le directeur artistique du théâtre Denise-Pelletier.
Le souvenir est certes présent, mais monter une pièce de Molière ne s’est jamais présenté à lui. L’Avare, qui fêtera ses 350 ans l’année prochaine, était tout désigné pour corriger le tir, car elle lui paraissait avant tout agréable.
«C’est fichtrement bien écrit, construit, malléable, mystérieux malgré tout ce qu’on en sait, infiniment riche à l’intérieur. Ce que j’aimais aussi, c’est ce degré de comédie qui me plaisait, chose à laquelle je m’atèle peu souvent.»
Le metteur en scène a fait un choix audacieux: alors que les écoles de théâtre poussent les acteurs à prendre l’accent français pour des textes français, Claude Poissant a choisi de changer celui venant d’outre-Atlantique.
«Ça change le jeu parce qu’on est plus dans nos corps. Il y a quelque chose qui arrête de nous rendre colonisés par rapport à cette langue. On se sentait l’obligation d’imiter les Français d’une certaine manière, alors que c’est pas nécessairement dans nos gênes.»
L’Avare est l’histoire d’Harpagon, un homme âgé terrifié de perdre son coffre rempli d’argent – qui sera représenté métaphoriquement dans la pièce – et qu’il garde secrètement dans son jardin. Mais lorsque ses deux enfants souhaitent se marier, l’occasion est donnée pour dévoiler le caractère autoritaire et manipulateur du personnage.
«C’est un formidable monstre, qui a tous les défauts du monde, analyse Claude Poissant. Au delà de son pêché capital d’avarice, il y a cette peur de se posséder soi-même, d’être incapable de s’offrir aux autres, pas seulement des biens matériels, mais aussi des sentiments. Toute forme de dons est une contrainte à son existence. Il y a là-dedans une peur d’exister, une peur de liberté. C’est comme si la rigueur devenait une obsession et non plus un outil.»
Ces mots résonnent étrangement, tant dans notre monde de plus en plus accroché à l’individualisme que dans le contexte géopolitique actuel. Claude Poissant est cinglant. «À partir du moment ou une œuvre passe l’épreuve du temps, on peut toujours faire un lien. On a dit que l’Avare, c’était Trump, mais tout est rendu à être Trump maintenant. Ce qui m’intéressait, c’est comment nous on se voit à travers se personnage, comment les gens qu’on trouve monstrueux sont faits de sentiments humains que nous possédons tous en nous. Car tout le monde à son Avare dans sa tête, à sa manière de voir les choses.»
L’Avare, au Théâtre Denise-Pelletier. Texte de Molière. Mise en scène de Claude Poissant. Avec Simon Beaulé-Bulman, Jean-François Casabonne, Samuel Côté, Sylvie Drapeau, Laetitia Isambert, Jean-Philippe Perras, Bruno Piccolo, François Ruel-Côté, Gabriel Szabo et Cynthia Wu-Maheux. Du 15 mars au 8 avril. Billetterie en ligne ou au 514 253-8974.