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L’itinérance tassée en périphérie du Village

Des policiers patrouillent dans le Village.
Des policiers patrouillent dans le Village. Photo: Quentin Dufranne / Métro Média

Depuis son lancement en juin dernier, la stratégie pour le Village lancée par l’administration Plante semble pousser davantage les personnes en situation d’itinérance en périphérie du quartier. C’est du moins le constat que font certains résidents du quartier et le milieu communautaire.

Pour l’organisateur communautaire au Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM), Jérémie Lamarche, la stratégie du Village amène les personnes en situation d’itinérance à se déplacer pour échapper à la surveillance constante de la police. 

La stratégie du Village va mener au déplacement du problème. La sécurité des personnes en situation de marginalité est encore plus précaire. On fait juste déplacer le problème parce qu’on a une stratégie de patchage.

Jérémie Lamarche, organisateur communautaire au RAPSIM

Il déplore un «manque effarant» d’espaces publics où les personnes en situation d’itinérance peuvent «exister en paix» en plus d’une augmentation de la présence policière qui rend «encore plus hostiles» les espaces publics à ces personnes. 

La stratégie pour le Village vise, à travers une trentaine d’actions, à combler une «fracture» qui s’est installée dans l’est de l’artère commerciale. Élaborée en partenariat avec le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), le gouvernement du Québec et les partenaires de la santé et des services sociaux, la stratégie souhaite répondre aux enjeux de cohabitation sociale et de sécurité qui frappent le Village.

Pour y parvenir, le SPVM a déployé 40 policiers supplémentaires dans le secteur, en plus d’une présence continue de l’Équipe mobile de médiation et d’intervention sociale (ÉMMIS), qui agit en amont des forces policières auprès des populations marginalisées. 

«Si on rajoute des effectifs policiers, voire des dispositifs de surveillance, les personnes se déplacent, explique Jérémie Lamarche. On voit un déplacement; les populations qui habitaient le centre-ville se déplacent plus vers l’est et vers l’ouest à cause de cette répression-là, et de cette dynamique où il n’y a pas d’espaces pour survivre.» 

«Avoir plus de policiers ou de surveillance, c’est clairement une stratégie de répression, qu’elle soit directe ou indirecte», ajoute-t-il. 

L’Équipe mobile de médiation et d’intervention sociale (ÉMMIS), déployée en continu dans le quartier, vise à limiter la judiciarisation des personnes marginalisées en intervenant en amont des forces de la police. Mais pour Jérémie Lamarche, cette équipe d’intervention «ne règle pas tout». 

«C’est une équipe de civils qui répond à des préoccupations citoyennes. C’est de l’intervention ponctuelle, c’est du “ici et maintenant”, estime-t-il. C’est totalement l’inverse des approches des groupes communautaires qui sont dans le long terme, dans le respect du rythme de la personne et de ses besoins dans le moment présent. ÉMMIS, ce n’est pas la solution et ça a des effets négatifs.» 

Des résidents préoccupés 

Une résidente de la rue Laforce, en périphérie du Village, constate une augmentation du nombre de personnes en situation d’itinérance dans son secteur. «Depuis environ deux mois, on a vu littéralement une augmentation des personnes défavorisées dans le coin, rapporte-t-elle. Ça traîne en dessous des balcons, ça rentre dans les immeubles, ça rentre par l’accès de secours pour monter sur le toit et fumer des clopes.»

Elle constate aussi une hausse du nombre de personnes résidant sous le pont Jacques-Cartier par rapport à l’année précédente. «Généralement l’année dernière, on voyait deux couples de personnes en situation d’itinérance, et là on est rendu à huit ou dix couples de personnes qui vivent sous le pont Jacques-Cartier», ajoute Alexandra Laplante. 

Selon elle, des itinérants qui dormaient sur le terrain vague faisant face à l’immeuble de Fondaction auraient été «chassés» il y a deux semaines. 

Joseph Morin habite dans un immeuble non loin de là, en face du parc de la station de métro Papineau. Il constate une dégradation de la situation aux abords du métro. L’immeuble où il vit serait devenu un lieu de consommation pour les personnes marginalisées. Joseph Morin, un habitué du bar Le Cocktail dans l’est du Village, prend désormais un taxi pour se rendre chez lui, et cela même s’il demeure à seulement deux blocs de distance du bar. 

«Je prends un taxi, car c’est dangereux, il y a trop de toxicomanes et d’itinérants. Je suis à mobilité réduite, donc si je me fais attaquer, je ne suis pas capable de courir», dit-il. 

Charles* habite le même immeuble que Joseph. Depuis plus d’un mois, il constate lui aussi une augmentation du nombre de personnes marginalisées qui fréquentent les lieux. «Ce qui a changé, c’est qu’il y a beaucoup plus de personnes qui se droguent ou qui traînent dans le parc, explique Charles. Ils sont de plus en plus actifs la nuit.» 

«Tolérance zéro» pour les campements cet été

Depuis le début de l’été, les équipes du RAPSIM semblent constater une augmentation des démantèlements de campements de personnes en situation d’itinérance. 

«On voit depuis le début de l’été une tolérance zéro de la Ville face aux campements, remarque-t-il. C’est extrêmement fâcheux, car les campements sont un moyen de survie pour des personnes pour qui il n’y a pas d’autres alternatives.» 

Alors que la Fierté bat son plein, Jérémie Lamarche ne s’étonne pas de voir ces démantèlements survenir, comme c’est souvent le cas lorsque des événements publics ont lieu dans la métropole. 

Quand il y a des événements publics et qu’il y a des intérêts autres que ceux des personnes en situation d’itinérance, ça se solde en démantèlement de campement. On met la faute sur les personnes qui tentent désespérément d’avoir des lieux d’existence.

Jérémie Lamarche, organisateur communautaire au RAPSIM

Pour lui, le manque d’installations sanitaires et de poubelles à destination des personnes en situation d’itinérance ajoute aux tensions qui existent déjà entre celles-ci et les résidents. 

«Les personnes en situation d’itinérance sont nos voisins et nos voisines qui ont les mêmes droits que nous, et les enjeux structurels que l’on vit comme la crise du logement, ces personnes les vivent fois mille, ajoute Jérémie Lamarche. Avec cette stratégie de gestion du problème en aval, ce n’est pas surprenant que les personnes essaient de trouver d’autres moyens de survivre et que des communautés qui n’étaient pas en contact avec des personnes en situation d’itinérance [se retrouvent à les côtoyer].»

*Nom fictif

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