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Souvenirs d’une enfance d’immigré

Photo: Musée de l’Holocauste Montréal

Aujourd’hui, Métro propose une édition spéciale dans toutes ses rubriques sur le thème de l’enfance.

Que ce soit pour survivre à la guerre ou pour espérer un avenir meilleur, la décision des parents d’immigrer a un impact considérable sur leur progéniture, qui doit se construire avec un bagage à porter. La plupart de ces enfants conservent un objet qui les rattache à leurs origines, à leur passé.

Trois enfants immigrants devenus grands partagent avec Métro leurs histoires et les objets qu’ils gardent précieusement en souvenir.

Daisy Gross et sa poupée Toniška

Slovaquie, 78 ans
Arrivée à Montréal en janvier 1957 à 18 ans, après avoir vécu en Hongrie.

1943. La Slovaquie est un État de l’Allemagne nazie depuis quatre ans déjà. Et le plan d’extermination des juifs d’Adolf Hitler est déjà engagé.

La même année, Daisy Gross (née Laeierova) n’a que quatre ans lorsque ses parents lui fournissent de faux papiers et l’envoie se cacher à Solčany, le village de leur domestique, Antonia Nicodemova, une femme non-juive que Daisy surnommait Tonka. «Je me souviens être dans le bureau de l’avocat de la raffinerie de sucre à Nitra, en Slovaquie, où mon père était directeur, raconte Daisy Gross. Ma mère était une femme magnifique, très à la mode. Il pleuvait cette journée-là, et elle portait une veste bleu marine, une paire de souliers bleu marine et avait un bandeau sur la tête et un sac à main assortis. Je n’oublierai jamais. Je me souviens être face au porte-manteau, ma mère m’a regardée et je l’ai suppliée de ne pas m’envoyer là-bas. J’étais agrippée à elle. C’est la dernière fois que j’ai vu mes parents», relate la dame de 78 ans, la gorgée serrée.

En plus de garder un souvenir impérissable de sa mère, Daisy Gross a soigneusement conservé pendant plusieurs décennies dans une petite taie d’oreiller Toniška, sa première poupée. «Tonka l’avait confectionnée avec sa mère pour ma naissance. La poupée a été avec moi tout au long de la guerre, durant toute mon enfance, et même après mon mariage. Je l’avais avec moi jusqu’à tout récemment.»

La poupée s’inspirait du costume traditionnel slovaque. «Tonkà et sa mère ont tout fait elles-mêmes, précise Mme Gross. Elles ont brodé la jupe et le chapeau. La veste a été faite à partir de chutes de tissu. Le corps était un sac rempli de foin, et elles avaient aussi fabriqué les bras. Quant à la tête, elle était faite de papier mâché», détaille-t-elle.

«Chaque problème, chaque peine, chaque déception, chaque blessure que j’ai eus, je l’ai confié à ma poupée. Même quand je me suis mariée, je lui ai tout confié.» – Daisy Gross, survivante de l’Holocauste

Si la poupée de Daisy Gross était faite de matériaux rudimentaires, elle n’en était pas moins un objet d’une valeur sans égale pour sa propriétaire. «C’était une poupée bon marché, mais pour moi, elle était très spéciale. Cette poupée n’a aucun prix!»

Et, près de 80 ans plus tard, la poupée reste, encore aujourd’hui, son jouet préféré. «Quand vous perdez toute votre famille, explique Daisy Gross en tentant de contenir ses larmes, cette poupée est un lien avec mon passé. Cette poupée est une partie de moi.»

Avec les années, l’intérieur de la poupée s’est désintégré, laissant sa propriétaire complètement démunie. «J’étais si triste quand la poupée est devenue poussière. Je ne savais pas quoi faire, alors je me suis renseignée pour la faire réparer», confie Mme Gross. Ainsi la tête et les vêtements sont d’origine, mais le corps, lui, a été raccommodé.

En juin 1945, Daisy a environ six ans lorsqu’elle apprend que ses parents, qui s’étaient cachés dans un bunker, ont été déportés et tués dans des camps de concentration. Ses tantes l’ont donc emmenée en Hongrie. La séparation d’avec Tonka a été une nouvelle déchirure pour la fillette. «Je suis restée en contact avec Tonka jusqu’à sa mort, en 1984. Je l’aimais, elle m’aimait.»

L’année dernière, Daisy Gross, qui raconte régulièrement son histoire à des jeunes dans le cadre d’ateliers au Musée de l’Holocauste, a légué à ce dernier sa poupée qui l’a suivie dans toutes ses péripéties jusqu’à atterrir avec elle à Montréal en 1957, alors qu’elle n’avait que 18 ans. «Je voulais avoir toute ma tête pour prendre la décision de la léguer, et le faire à ma façon. Mes petits-enfants la voulaient, mais ce n’est pas un objet avec lequel un enfant peut jouer. Cette poupée doit rester en vie, c’est un objet de mémoire», insiste-t-elle, les yeux humides.

Daisy Gross avoue s’ennuyer de sa poupée Toniška, mais est toujours en paix avec sa décision. «Le fait que les gens puissent la voir, comprendre ce qu’une poupée peut signifier et tout ce qu’elle a vécu, ça en vaut la peine», conclut-elle.

Les petites voitures et le camion jaune de Mario Pino Sorto

Honduras, 32 ans
Arrivé à Montréal en novembre 1989 à 3 ans.

Originaires du Honduras, les parents de Mario aspirent à un avenir meilleur, pour eux et pour leur fils d’à peine trois ans, Mario. En novembre 1989, ils décident donc de poser leurs bagages à Montréal. «Il n’y avait pas, dans notre pays, une situation qui nous a forcés à fuir, explique Mario Pino Sorto. Ils voulaient un meilleur futur pour moi et éventuellement pour mon petit frère.»

Le Canada s’est imposé comme une évidence pour le couple, qui avait déjà de la famille au pays. «On avait aussi de la famille aux États-Unis, mais mes parents ont préféré le Canada parce que c’était plus tranquille», précise-t-il.

Bien qu’il n’était qu’un petit bout quand ses parents se sont lancés dans leur aventure canadienne, Mario a gardé en mémoire des images indélébiles de cette période. «Je me souviens de certains objets que j’avais avec moi. Juste avant de partir, mes grands-parents m’avaient donné quelques jouets que j’avais avec moi dans l’avion. D’ailleurs, je les ai encore», souligne-t-il.

Mario Pino Sorto fouille avec plaisir et nostalgie dans ses souvenirs pour les partager. «Nos bagages étaient bouclés, c’était quelques heures avant de partir. On était dans un restaurant, et mon grand-père m’a donné des petites voitures, dont une qui était celle de Batman, et aussi un petit camion jaune. C’est ce que j’avais dans les mains quand on est partis du Honduras», décrit-il avec émotion.

À la naissance de son petit frère, alors qu’il a environ sept ans, il prend conscience de la valeur du legs de son grand-père. «Au début, je voulais plutôt jouer. Mais quand j’ai compris, le voyage, le sacrifice de mes parents, et le fait de savoir que je ne verrais peut-être plus jamais mon grand-père, c’est devenu un objet plus symbolique», dit-il.

«Je sais que ce sont juste des jouets, mais pour moi, ce sont plus ce qu’ils représentent que l’objet en tant que tel. Ils n’ont aucune valeur monétaire, mais une grande valeur sentimentale.» – Mario Pino Sorto

Même si l’enfant partagera ses précieux jouets avec son cadet, les deux frères prendront par la suite bien soin de les conserver. «Aujourd’hui, ces jouets sont dans une boîte chez mes parents», confie l’homme qui, de temps en temps, replonge en enfance et rouvre sa boîte à trésors. «Ce sont surtout des petites voitures qu’on a gardées, on en est fan! Ça nous arrive souvent de regarder dans nos boîtes et de nous souvenir des bons moments», poursuit-il.

En continuant son escapade dans les dédales de sa mémoire, d’autres souvenirs lui reviennent. «Je me souviens aussi de notre chien, de la maison de mes grands-parents, de celles de mes arrières-grands-parents. Ils avaient un petit magasin, et il y avait des boîtes, avec du riz, du maïs. Et je me vois jouer dans les boîtes de riz. J’y mettais les mains. Je m’en souviens très bien. Il y avait aussi un perroquet, qui était dans un coin, et la chaise en bois dans laquelle mon arrière-grand-père passait beaucoup de temps à boire du café», énumère Mario Pino Sorto.

Aujourd’hui, le Québécois originaire du Honduras est papa d’une petite fille de trois ans et compte bien lui prêter ses petites voitures. «Ma conjointe est Québécoise; pour moi c’est un symbole, je veux que ma fille sache d’où ça vient, d’où je viens», confie Mario Pino Sorto, qui lui a déjà prêté un de ses premiers jouets, un petit ourson brun au cœur rouge. «Teddy était mon petit frère avant sa naissance. Aujourd’hui, ma fille joue avec lorsqu’on visite mes parents», raconte-t-il.

En acceptant de partager ses souvenirs, Mario était loin de se douter qu’il serait inondé de souvenirs. «Plein de souvenirs ont surgi, des choses auxquelles on ne prend pas le temps de penser. J’ai beaucoup pensé au sacrifice de mes parents, au courage que ç’a pris alors qu’ils ne parlaient ni anglais ni français», dit-il, avouant qu’il n’est pas sûr qu’il ferait lui même ce sacrifice.

Les livres, la robe de bébé et les bijoux de Mahsana Sadegh

Iran, 38 ans
Arrivée à Montréal
en 1996 à 16 ans.

L’immigration de Mahsana Sadegh, d’origine iranienne, n’a pas été celle d’une famille qui fuyait un pays, mais plutôt celle de l’espoir d’un avenir meilleur. «Ma mère, qui était séparée de mon père, vivait déjà ici avec ma petite sœur et mon petit frère. Et elle voulait que moi et mon frère venions la rejoindre, parce que l’éducation était meilleure et qu’il y avait plus de possibilités.»

La perspective de cette nouvelle vie ne réjouissait pas l’adolescente de 16 ans, qui devait tout quitter pour un pays dont elle ne parlait pas la langue. «À l’époque, j’aurais préféré rester en Iran. Je voulais voir ma mère, que je n’avais pas vue depuis cinq ans, mais j’avais une meilleure vie en Iran. Mais aujourd’hui, je suis très heureuse de vivre ici», avoue la femme de 38 ans dans un très bon français teinté d’orient.

Lorsque Mahsana Sadegh doit boucler sa valise, elle n’hésite pas une seconde sur les objets qu’elle conservera. «Je n’avais pas beaucoup de place, alors j’ai apporté ce que j’avais de plus cher, confie-t-elle. Mes livres en iranien, je me disais que je ne les retrouverais jamais, confie-t-elle. Il y avait Papa-longues-jambes, en iranien; c’était mon livre fétiche. Je l’avais tout le temps avec moi, se souvient Mahsana Sadegh, qui a tout tenté pour sauver son livre. Je l’avais fait recoller deux ou trois fois. Il était en papier, mais je l’ai tellement lu qu’il était irrécupérable.»

«Il y a des choses qu’on peut laisser partir dans la vie et d’autres qu’on ne peut tout simplement pas. Ça, ce sont des choses que je garderai toujours.» – Mahsana Sadegh

Replongeant dans ses souvenirs à mesure qu’elle fouille dans sa bibliothèque, Mahsana Sadegh retrouve deux autres livres en iranien de cette époque. «Il y a encore le contour de ma main que j’avais dessiné, dit-elle en riant. Je ne crois pas que je les relirais, mais je ne pense pas pouvoir un jour m’en séparer.»

L’adolescente avait aussi pris soin de glisser dans sa valise sa petite robe de bébé. «Cette robe à carreaux avec la tuque que je garde dans un tiroir me rappelle l’époque où mes parents étaient ensemble; c’est une époque qui, pour moi, est synonyme de beaux jours», explique-t-elle un brin nostalgique.

Les derniers objets chers à son cœur, c’est son arrière-grand-mère qui les lui a offerts. «Ce sont de petits pendentifs en or. Il y a une cuillère, une fourchette et une petite guitare. Ce sont des bijoux qui ne se font plus et qui me rappellent mon arrière-grand-mère», conclut Mahsana Sadegh après avoir replongé dans ses souvenirs.

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