Peur et chaos à Lagos, plus grande ville d’Afrique, avant le confinement
«Comment allons-nous faire?», s’interrogeaient clients et vendeurs dans l’immense marché de Lagos Island, au coeur de la capitale économique du Nigeria, quelques heures avant un confinement général annoncé dimanche par le chef de l’État nigérian: une question que se pose toute l’Afrique.
«J’ai déjà acheté du riz, des haricots et du manioc pour mes cinq enfants», racontait à l’AFP Mounsomola dans les rues d’habitude bondées et remplies d’étals en tout genre. «Tout ça sera fini en une semaine… et d’ici là, je n’aurai plus d’argent».
Le président Muhammadu Buhari a pris les habitants de Lagos et d’Abuja de court, en annonçant dimanche soir une interdiction de «tout mouvement» pendant au moins 14 jours dans ces deux villes qui enregistrent la grande majorité de la centaine de contaminations officiellement enregistrée dans le pays.
«Nous ne sommes pas prêts», s’emporte Abdul Rahim un vendeur du marché, toujours autorisé à vendre huile, farine ou maïs. «L’État de Lagos a démenti tout couvre-feu la semaine dernière, et maintenant le président annonce un confinement total».
«Deux semaines c’est beaucoup trop long, les fournisseurs ne peuvent même pas suivre. Les gens ont faim et ils ne pourront jamais faire de stock», regrette Abdul.
Question de vie ou de mort
Muhammadu Buhari a assuré que les magasins de nourriture et les stations services resteraient ouvertes, mais il n’était pas clair dans son allocution si les dizaines de millions d’habitants des deux villes pourraient s’y rendre.
«Nous savons que ces mesures vont causer beaucoup de difficultés», a concédé l’ancien général de 77 ans, dans un pays qui compte près des deux-tiers de sa population vivant sous le seuil de l’extrême pauvreté et dépendant essentiellement de l’économie informelle pour survivre.
«Mais c’est une question de vie ou de mort», a-t-il tranché.
Dans le marché d’Obalende, les clients se précipitaient vers les derniers étals ouverts pendant que des véhicules de l’État de Lagos diffusaient des messages de prévention et distribuaient du gel hydro-alcoolique.
À la sortie de l’État de Lagos, sur la route vers Abeokuta, des files immenses de voitures se formaient devant les marchés.
Confinement et cordons sanitaires en Afrique
De nombreux pays d’Afrique sub-saharienne – Ghana, Afrique du Sud, Congo-Brazzaville – ont décrété le confinement total ou partiel de leurs populations face à l’augmentation très inquiétante de cas déclarés au coronavirus sur le continent (150 morts et près de 5000 cas recensés officiellement).
À partir de lundi, le Zimbabwe et la quasi-totalité de ses 16 millions d’habitants ont reçu l’ordre de rester chez eux.
Si le virus se propage dans ce pays d’Afrique australe, usé par deux décennies d’une crise économique et financière qui ont laminé ses services publics, les pénuries et la menace de famine, le bilan sera catastrophique, a prévenu le président Emmerson Mnangagwa.
La même crainte se profile en République Démocratique du Congo, ou deux nouveaux cas ont été enregistrés dans le sud-Kivu, déjà terrassé par des décennies de conflit.
En Côte d’Ivoire, qui enregistrait dimanche son premier décès du au coronavirus et 165 cas officiels, l’isolement de la capitale économique Abidjan (5 millions d’habitants) du reste du pays initialement prévu jeudi est finalement entré en vigueur dès lundi matin.
Mesures de «pays riches»
De son côté, le président béninois Patrice Talon, a déclaré dimanche que le pays «n’avait pas les moyens des pays riches» pour confiner sa population, préférant l’instauration de cordons sanitaires autour des grands foyers urbains.
«Si nous prenons des mesures qui affament tout le monde, elles finiront très vite par être bravées et bafouées», a ajouté le chef de l’État, critiqué pour le peu de mesures de protection prises dans son pays de 11 millions d’habitants.
«Les mesures de distance sociale, qui sont applicables dans les pays riches, pourraient être sans effet dans des quartiers surpeuplés où il n’y a pas de sanitaires», écrivait l’économiste John Ashbourne, dans une note pour le cabinet de conseils Capital Economics.
Il rappelle également qu’un foyer moyen au Nigeria comporte 4,7 personnes (contre 2,5 en Corée du Sud) et qu’à peine 2% d’entre eux disposent de l’eau courante.
Ellen Johnson Sirleaf, ancienne présidente du Libéria, pays ayant eu à affronter la terrible épidémie d’Ebola en 2014, a publié lundi une lettre ouverte où elle se désole pour le continent: «Pour l’instant les nations africaines ont évité le pire, mais ce n’est qu’une question de temps pour que la pandémie gagne un continent qui est le moins préparé pour y faire face».