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Vieux Farka Touré: «Ils ont ouvert l’enfer devant nous»

Photo: collaboration spéciale

Son pays était considéré comme un des rares modèles de démocratie en Afrique avant que des djihadistes tentent d’y instaurer une république islamique par la force. Métro a parlé de la situation au Mali avec un de ses plus illustres représentants, surnommé le «Hendrix du Sahara», avant son passage au Festival international de jazz de Montréal.

Le 6 avril 2012, les Touaregs ont déclaré l’indépendance de l’Azawad, une immense région du nord du Mali. Pourquoi ont-ils revendiqué à la pointe des armes un territoire qui leur soit propre?
Plusieurs raisons expliquent ce désir d’indépendance, mais la plus importante est l’argent. Celui qui contrôle cette partie du Sahel contrôle aussi le commerce qui y transite et, donc, l’argent qui en découle. Plusieurs articles offerts sur le marché noir traversent le nord du Mali. Mais pour plusieurs Touaregs, c’est avant tout une question de liberté. C’est un peuple qui ne s’est jamais senti respecté au Mali ni au Niger, pas plus qu’en Algérie, qu’en Libye ou ailleurs. Les Touaregs ont toujours formé une petite minorité avec peu de pouvoir politique. Leur soulèvement est un effort pour faire entendre leur voix, mais aussi pour contrôler une zone stratégique et gagner de l’influence dans la région.

Des troupes chassées de Libye ont profité du chaos qu’a engendré l’insurrection touareg pour tenter d’instaurer un régime islamiste au Mali. Qu’est-ce que les intégristes menaçaient dans le pays?
Il y a eu beaucoup de nouvelles sur les parchemins sacrés de Tombouctou qui ont été préservés des intégristes. En fait, c’est toute la région de Tombouctou qui aurait été détruite si les terroristes avaient réussi, et cela n’aurait pas été une tragédie seulement pour le Mali, mais aussi pour le monde entier. L’éducation est née à Tombouctou. La musique aussi prend source dans cette région. Tombouctou est le berceau de notre civilisation telle que nous la connaissons aujourd’hui. Vous pouvez imaginer quelle horreur inimaginable ç’aurait été si les terroristes avaient réussi à détruire cette région. Ils ont ouvert l’enfer devant nous, mais par chance, il s’est vite refermé.

La musique, au Mali, semble être vitale. Pourriez-vous expliquer l’importance particulière qu’elle revêt pour les gens de votre pays?
La musique, pour nous, est comme l’eau ou l’air. C’est la vie, parce qu’il n’y a pas de vie sans musique. Quand les terroristes l’ont interdite, c’était comme s’ils nous avaient assassinés. Quelle joie y a-t-il à la vie si personne ne peut apprécier la musique? Je me suis vraiment senti renaître lorsque nous avons pu retourner dans le nord pour jouer de la musique. Voir les enfants danser dans les rues, jouer au football, chanter… c’était une joie indescriptible.

L’ancienne ministre malienne Aminata Traoré disait aux pays développés qu’«au lieu d’investir dans des appareils de sécurité pour empêcher les immigrants d’entrer, ils devraient partager leur richesse avec l’Afrique pour que tout le monde ait de quoi manger». Qu’en pensez-vous?
Oui, elle a parfaitement raison! Plusieurs Africains veulent se rendre en Europe ou aux États-Unis ou au Canada parce qu’il n’y a rien pour eux en Afrique. Si nous avions des économies qui fonctionnent, des infrastructures, des emplois… si nous avions tout ce que l’Ouest a, nous resterions tous où nous sommes et nous continuerions à bâtir nos pays. Mais il y a aussi une grande responsabilité qui incombe à nos gouvernements. Ceux-ci doivent mettre un terme aux habitudes de corruption qui les amènent à détourner l’argent destiné au bien commun afin qu’il serve leurs intérêts égoïstes.

Des enfants ont été enrôlés par tous les camps du conflit malien, que ce soit les djihadistes, les Touaregs ou les forces de sécurité maliennes. Comment le Mali peut-il éviter de voir ses enfants servir de chair à canon pour différentes factions armées?
Nous devons garder la guerre en dehors du Mali, c’est aussi simple que ça. Dans chaque guerre qui éclate en Afrique, les enfants seront toujours victimes. La guerre, en Afrique, est synonyme d’enfants morts et d’enfants-soldats. La seule solution pour garder les enfants en dehors de la guerre est de garder la guerre en dehors de nos terres.

Qu’est-ce que le reste du monde peut apporter à l’Afrique?
Si le monde regarde l’Afrique comme une banale œuvre de charité, c’est ainsi que l’Afrique se comportera à ses yeux. S’il nous traite comme des égaux, nous agirons en égaux. Nous sommes tous des humains et des citoyens du même monde. Il n’y a pas de divisions entre nous, sinon celles que d’autres humains imposent. Ce n’est pas ce que Dieu a décidé. Il n’y a aucune raison pour que nous ne soyons pas traités en égaux, de personne à personne et de nation à nation.

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Une icône pour le Mali

Vieux Farka Touré était destiné à embrasser la carrière des armes, mais c’est par les arts qu’il a décidé de changer le monde.

  • Son père, le légendaire musicien Ali Farka Touré, voulait le voir soldat. Il jugeait que c’était une profession plus stable que celle de musicien!
  • Vieux Farka Touré parle huit langues. Cette aisance à communiquer dans différentes cultures est à l’image de sa musique, qui puise ses influences dans les rythmes et les sonorités du monde entier.
  • C’est Vieux Farka Touré qui a offert le concert d’ouverture de la Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud.
  • Il a collaboré avec des musiciens aussi variés que Dave Matthews, Derek Trucks ou John Scofield. Il a récemment sorti un album avec le musicien israélien Idan Raichel.

Concert
Vieux Farka Touré sera au Club Soda demain soir à 19 h dans le cadre du Festival international de jazz de Montréal.

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