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Une photo de poutine

Frédéric Bérard

«L’Australie brûle dans l’indifférence de ses journaux.» Rictus gêné, et gênant, de ma part.

Il était déjà décidé que l’apathie générale devant la catastrophe humaine ferait l’objet de cette chronique.

Tout cela a débuté au Chili, là où je devais passer une partie des Fêtes, les premiers jours ayant été consacrés à des reportages en Colombie et au Brésil.

Comme je publie presque chaque jour sur mes réseaux sociaux quelques vidéos ou témoignages d’une guerre civile potentielle, la réaction suscitée se trouve parfaitement insignifiante ou, au mieux, mièvre.

Ce qui se déroulait sous mes yeux, pourtant, revêtait une puissance suffisante pour en assurer le saignement: des raids de tanks (des vrais) mettant fin à une célébration tout inoffensive, rentrant dans le tas à grands coups de gaz lacrymogènes et poursuivant les citoyens jusque dans les moindres recoins de la ville (j’atteste la qualité insoupçonnée de mon cardio).

Des policiers et des militaires torturant, violant et tuant, à l’instar des meilleures années Pinochet. Des leaders féministes pendues aux clôtures.

Des bombes foutant le feu dans un cinéma où se sont réfugiés les manifestants. Des cancéreux incapables de se faire soigner par le régime public, se faisant taper dessus à coups de matraque.

De l’eau potable, seule disponible, facturée par l’État. Des enfants gazés, comme l’ensemble des participants présents à la Plaza de la Dignidad (on remarquera l’ironie), pour fêter l’arrivée de la nouvelle année.

Voilà le type de trucs que je publiais, impuissant et rage au cœur, dans l’indifférence assurée.

C’est alors que m’est venue l’idée de procéder à un test d’intérêt.

Pour la première fois de mon existence «facebookienne», j’ai posté sur mon mur une photo de… poutine chilienne.

Boum. Likes en profusion. Bonne année, grand nez, à toi pareillement, grandes dents.

Crisse-nous patience avec tes violences d’État, tes féminicides et autres dictatures du coin de la rue, pis parle-nous de poutine.

***
Je ne juge personne, remarquez bien. Parce que je ne vaux guère mieux, étant également un cochon gras, triste produit d’une époque d’indicible individualisme.

Si on peut excuser nos réflexes perso, demeure néanmoins une énigme, insoluble, qui devrait nous sauter à la gorge après un minimum de recul: qu’est-ce que ce paradigme débile?

Quelles explications pour cette apathie généralisée, cette anesthésie collective pour tout ce qui touche son prochain et son… avenir?

Comment l’humanité peut-elle être aussi dépourvue… d’humanisme?

Questions épaisses, je sais. Rien n’indique que la situation actuelle est pire ou meilleure que divers points de référence de l’Histoire.

Reste que les enjeux afférents à la géopolitique 2.0 devraient, si on s’intéressait sérieusement à autre chose qu’à la valeur de nos REER, à notre nombre de followers et au pH de nos piscines, nous interpeller pour la peine.

Parce qu’à moins d’être un jovialiste fini, force est de constater la pente glissante sur laquelle nous sommes humainement engagés.

Parce qu’à moins d’être un jovialiste fini, force est de constater la pente glissante sur laquelle nous sommes humainement engagés.

Des embryons de régimes totalitaires poussent comme de petits champignons toxiques, et ce, dans nos cours arrière. La planète flambe à grands feux. Les libertés civiles reculent partout, corollaire d’un populisme omnipotent. Les ressources névralgiques s’amenuisent.

Et pendant ce temps, le sans-dessein le plus puissant du monde pourrait, à la prochaine occasion, appuyer sur le p’tit piton assurant le boum final.

Schopenhauer a écrit que «l’existence humaine ressemble à une représentation théâtrale qui, commencée par des acteurs vivants, serait terminée par des automates revêtant les mêmes costumes». Nous voici au deuxième acte; reste à anticiper la fin de la pièce. Entre deux poutines.

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