Un mauvais film d’Orwell
Vous avez peut-être vu passer la blague, ou plutôt boutade, suivante: 1984 est un roman, pas un mode d’instruction. Genre de truc qui fait rire jaune. Parce qu’une simple lecture ou relecture du chef d’œuvre d’Orwell confirme – et c’est à se glacer les sangs – que notre monde politique actuel, trumpisme en tête, semble effectivement s’en être minimalement inspiré. Notamment sur le plan du néoparler, celui qui, essentiellement, réécrit sans honte le lexique propre au débat public: la guerre, c’est la paix; la liberté, c’est l’esclavage; l’ignorance, c’est la force.
Cette insulte à l’intelligence collective prend également place au Québec, là où, comme j’en traitais lors de chroniques antérieures, l’utilisation marquée de néologismes vient distortionner la discussion. C’est ainsi qu’il est dorénavant un crime, moral du moins, de s’afficher comme antifasciste (!), et que le qualificatif d’antiraciste radical (!!) relègue le coupable au rang de pestiféré de la nation. Mieux, la reprise de la cassette du «racisme anti-blanc», concept non reconnu par la sociologie, mais sorti tout droit du cerveau de Jean-Marie Le Pen. L’idée derrière cela? Évidemment transférer sur les épaules des anti-racistes la responsabilité de la débâcle, et dédouaner il va sans dire, les racistes de leurs faits et gestes. Pas très subtil, mais pratique.
Comme si la cour de l’agora n’était pas suffisamment pleine, un néologisme supplémentaire vient d’y faire son apparition, repoussant davantage, si telle chose était permise, les limites de la décence intellectuelle: le «racialisme».
Un caricaturiste auto-proclamé, dont j’ignorais jusqu’alors l’existence s’est amusé à me dépeindre en Général Wolf.
Parfaitement malgré moi, j’ai dû faire connaissance, tout récemment, avec ce nouveau «concept». Un caricaturiste auto-proclamé, dont j’ignorais jusqu’alors l’existence – faut dire que son nombre d’abonnés est inférieur à celui de la page du Club optimiste de Verdun – s’est amusé à me dépeindre en Général Wolf. Ah bon. Affaire insignifiante et sans intérêt, bien sûr. Sauf que l’artiste en résidence en rajoute une couche en s’attaquant également à Maïtée Labrecque-Saganash caricaturée en Blanche-Neige («pas assez Saganash et trop Labrecque», à Will Prosper en un Michael Jackson «découvrant sa blanchitude» et enfin, à Fabrice Vil comparé à une barre de chocolat sortie de son emballage et projetant, vous l’imaginez aisément, l’image dégradante propre au stéréotype raciste classique.
S’ensuivirent sans surprise une pléiade de réactions sinon scandalisées, au moins offusquées ou dubitatives. Au point où notre bougre manifestement en manque d’attention et donc fier de son coup – en rajoute une lampée: son «œuvre» visait, au contraire, à dénoncer les racistes. Vous avez bien lu. Il persiste et signe d’ailleurs, allant même jusqu’à expliquer son «gag» aux cons: les racistes seraient, au final, justement les Vil, Prosper et Labrecque-Saganash (forts de l’appui de traîtres-blancs de mon acabit), ceux-là même qui se font sinon porte-
parole, au moins militants du mouvement antiraciste. Et pourquoi donc? Parce qu’ils ramèneraient leur combat à une affaire raciale. Grosse trouvaille. la lutte afférente aux stéréotypes raciaux avec, au cœur de l’affaire, la question… raciale. Maudite affaire pareil, non?
Et quel sera le prochain ajout au dictionnaire de la discussion publique? Accuser les militants LGBTQ d’homophobie? En vouloir aux victimes de viol d’encourager la culture à cet effet? Plein de bon sens. Comme le fait d’amalgamer, au nom de l’égalité et l’harmonie, un Noir à une barre de chocolat. Un mauvais, ou plutôt excellent film, orwellien:
− Les antiracistes sont les racistes;
− Les victimes sont les bourreaux;
− La haine, c’est l’amour.